Bérurier et le gros seau vert

Publié le 13 octobre 2007 par Fabdelanmil

Si vous trainez un peu sur les blogs ci-contre et les liens qui en découlent, vous savez sans doute que le génial Thom (il va surement faussement modestement s'offusquer que je le traite de génial, mais au fond il sait que j'ai raison) a eu la bonne idée (d'autant meilleure que j'ai failli avoir la même, une fois) de lancer un projet appelé "crossover". 
Comme j'aime bien les projets en communauté, j' avais très envie de m'y coller. Mon problème, c'est que ça fait des mois (des ans?) que j'ai pas lu un bouquin littéraire (fort malheureusement). Et puis en regardant un peu ce qu'avaient fait mes camarades blogueux lettrés, j'ai remarqué qu'eux pouvaient, s'ils le désiraient, traiter d'un musicien plutôt que d'un album en particulier.
Alors, comme je ne me rappelle plus quel roman j'ai lu en dernier (et il y a des chances que ce soit un J.-C. Grangé, je me verrais mal toquer à la porte DU golb avec ce genre d'ouvrage sous le bras), j'ai décidé, et j'espère que Thom ne m'en voudra pas, de traiter d'un sujet un peu plus large qu'un bouquin précis.

Un autre dilemme qui a failli faire que je passe à côté de ce magnifique projet de crossover, c'est que je me suis personnellement fixé comme contrainte, à l'ouverture de ce blog, de parler uniquement de musique. Alors, quand j'ai récemment repris conscience qu'un des plus célèbres vrais groupes de vrai rock français de tous les temps (pas trop dur, en même temps, vu leur nombre) tenait son nom d'un des plus célèbres personnages récurrents de la littérature populaire française du vingtième siécle, je me suis dis que je tenais une idée pour ménager la chèvre et le chou, mélanger harmonieusement les torchons et les serviette, concilier le marteau et l'enclume, marier la poire et le fromage.
Bon, arrivés à ce point de cette lourde énumération d'indices, seuls les lettrés les plus binoclards et les rockeux à franges les plus obtus n'ont pas compris de quoi il s'agit, on va donc arrêter de tourner autour du pot. Tout le monde l'a compris, je désirerais grandement vous entretenir de celui qui a donné son patronyme au fameux groupe Bérurier Noir (1978ou1983-1989 puis 2003-2004, je crois -ça c'est pour les littéraires lunettus), j'ai nommé Alexandre-Benoît Bérurier, fruit de la prolifique et généreuse imagination du génial et modeste Frédéric Dard (ça c'est pour les hardos à cuirs chevelus). 
  

Pourquoi Béru?
Parce que, certainement qu'en fait, Bérurier est le véritable héros des aventures de San Antonio. San A., espèce de James Bond de la DST est évidemment trop intelligent, trop beau, trop propre, trop séduisant, trop eff icace dans tout ce qu'il entreprend pour être intéressant. Évidemment, il endosse dans toutes ses histoires le rôle du Clown Blanc. Et Alexandre-Benoît, bien sûr, c'est l' Auguste. C'est lui, et une kyrielle d'autres personnages tout aussi rocambolesques (sa femme Berthe, la petite Marie-Marie, Pinuche l'inspecteur...), qui occupent finalement le "devant de la rampe" et c'est pour eux qu'on se replonge chaque fois avec la bave aux lèvres dans une nouvelle aventure du commissaire. Et Dard ne s'y trompe pas, qui lorsqu'il commet des "hors séries", les concentre sur son personnage fétiche, et nous livre entre autres un pavé de pur rabelaisianisime : Le Standinge (Le Savoir-Vivre Selon Bérurier), duquel Antoine San Antonio est complètement absent.
  

Alors, Alexandre-Benoît, c'est qui? ...ou plutôt : c'est quoi?
Béru, ça pourrait être le beauf de Cabu, le frère de Robert Bidochon, le Français moyen dans toute son ignominie. En effet, totalement insouciant de son apparence, il est hirsute, gros et mal odorant. Mal élevé, il manque singulièrement de discrétion en toute occasion et fait constamment montre d'un égoîsme à toute épreuve. Un sale blaireau, quoi!
Seulement voilà, c'est généralement lui qu'on aime retrouver dans les romans de San Antonio. Pourquoi? Et bien sans doute parce qu'il présente trop de défauts pour être réel, parce qu'il met avec grand humour l'accent sur le côté "beauf" qu'on a tous plus ou moins, mais surtout parce que son profil sert de catalyseur à l'imagination débordante de Frédéric Dard. Celui-ci se régale à le martyriser physiquement, à l'humilier en le montrant à la Terre entière dans toute sa nudité mentale aussi bien que physique, à se gausser de son inculture ou de son langage approximatif. Pour notre plus grand plaisir, évidemment. 
Mais attention, rien de tout cela n'est fait méchamment, car c'est souvent l'inspecteur Bérurier qui, dans un éclair d'intelligence et de maîtrise de soi, va tirer son supérieur hiérarchique de la mouise, récoltant aux passages des honneurs mérités.
Ou c'est lui qui, comme son commissaire muni d'un attirail généreusement dimensionné, va pouvoir honorer, pendant ses heures de services, moult créatures féminines de la plus abjecte à la plus attirante. Décomplexé en amour comme en quoi que ce soit, A.-B. a une conception de la relation sexuelle proche de l'animalité, et c'est sans doute d'abord cette envie de faire, et généralement de bien faire, qui transparait sur sa personne et qui le rend si attirant auprès de certaines.
Sinon, ce serait une faute de ma part d'oublier de mentionner le gargantuesque appétit de Bérurier pour tout ce qui s'avale : à boire et à manger. Pouvant ingurgiter des litres de boissons sans vaciller (Gérard Depardieu a d'ailleurs interprété son personnage au ciné), il ne quittera non plus jamais une pièce sans avoir au préalable dévoré ou mis sur le coin de l'oreille toutes les victuailles qu'elle pouvait contenir. Sans doute aucun : Bérurier est l'archétype du bon-vivant.
Enfin, et c'est probablement plus glorieux, Béru est aussi et surtout dévoué et fidéle. Dévoué à son Sana, au service duquel il met sa force collossale plus souvent qu'à son tour, capable d'aller au charbon à la moindre occasion, quite à se prendre des raclées aussi monumentales que lui. Fidèle, il l'est (paradoxalement) à sa femme Berthe, même s'il fraie régulièrement avec d'autres femmelles, il ne considère pas cela comme de la tromperie, et la Bertaga n'y voit généralement pas de mal non plus, allant même jusqu'à commenter fièrement auprès de tiers les performantes étreintes extra-conjugales de son mari préféré.

A lire cette description, quiconque n'aurait jamais lu de San Antonio (si tant est que cela existe) pourrait se demander quel intérêt on peut trouver à lire, à longueurs de dizaines de romans, les frasques d'un tel affreux jojo. C'est là qu'il ne faut pas se tromper et prendre bien en considération que le style littéraire de son créateur est, sinon inimitable du moins inégalable, et que, virtusose du jeu de mots et du calemebour, il amène régu lièrement son lecteur jusqu'au fou rire, sans que celui-ci en ait même honte. A ce sujet, je me rappelle d'un jour sur une plage en été où je voyais, un peu au loin, un monsieur tout seul allongé sur sa serviette et qui, me tournant le dos semblait être pris de convulsions. Voulant tenter d'aider ce malheureux épileptique, je me rapprochai de lui, mais quand mon champ de vision s'élargit et que je compris la cause de ces spasmes, je rebroussai chemin : ce bienheureux était tout simplement en train de bouquiner un San Antonio! Un talent gigantesque, ce Frédéric dard.
  

Et pourquoi Noir, alors?
Vous l'avez compris, Alexandre-Benoît Bérurier est un symbole imaginaire mais bien vivant "de la crasse, de la puanteur, du gras-double, du mal baisé, du mal rasé, du mal torché, de la classe moyenne, la peste, la maladie, les microbes, les infections, le chaude-pisse, les pellicules dans les cheveux gras, les chaussettes humides de sueur" selon les mots de François et Loran, qui en s'emparant du personnage de Bérurier, l'on dépecé de son aspect clownesque pour ne garder que le grotesque et, en lui adjoignant l' épithète "Noir" l'ont transformé en figure de proue "du noir-tristesse, massacre, mort, fin du jour, réglements de comptes, écrits politiques, apartheid...l' amour, le sexe, magie-secte-religion, l' horreur, les violences, les cauchemards-rêves, la peur, l' enfant qui pleure dans le noir, les coulisses de la société, les organisations, les syndicats, les violences policières, les cachots, les Q.H.S., l'enfermement, tous les enfermements". Je sais, c'est maladroit et ça ne veut pas dire grand chose, mais c'est ça le punk, c'est caricatural et ça s'assume en tant que tel, et c'est ça qu'est bon.
Alors c'est pour ça que moi je dis que, quelle que soit leur couleur :
Vivent les Béruriers !!!