Seul subsiste, du patriotisme du tableau de Delacroix, la suggestion du drapeau tricolore par l'ensemble formé par la jupe (bleue), le maillot (blanc) valorisant la poitrine généreuse de Marianne, et enfin le bonnet phrygien et le drapeau (rouges).
Remarquons aussi que Marianne, vaguement androgyne chez Delacroix, est ici bien plus maternelle, ce que d'aucuns interprèteront comme un symbole du matriarcat triomphant.
En 1830, on se battait les armes à la main pour faire chuter Charles X. En 2009, on ne se bat plus : on est festif, citoyen, n'ayant d'autre horizon que la fin du concert.
Quant à la couleur de peau de Marianne qui fait débat, il n'y a rien de nouveau à ce qu'elle ne soit pas blanche. Plantu, dans Le Monde, représente souvent l'allégorie de la République par une femme noire. Laurent Fabius, au congrès socialiste de Dijon de mai 2003, s'exclamait : « Quand la Marianne de nos mairies prendra le beau visage d'une jeune Française issue de l'immigration, ce jour-là la France aura franchi un pas en faisant vivre pleinement les valeurs de la République. »
Ce qui fait écho aux propos du général de Gaulle, lequel affirmait déjà, en 1959 : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. » La contradiction de l'idéologie multiculturaliste, dont cette affiche n'est que l'une des innombrables manifestations, réside plutôt dans son éloge simultané de la diversité et du métissage, qui sont par définition incompatibles.
Pour être cohérents avec leur idéologie, les organisateurs de la Fête de l'Huma auraient dû choisir soit une Marianne métissée, ce qui n'est pas le cas ici, soit plusieurs Marianne de couleurs différentes. De même que les obamanes auraient dû saluer le fait que Barack Obama est métis, et non, comme ils l'ont fait, noir (ce qu'il n'est pas). Les bobos parisiens, qui sont souvent les mêmes, sont tout aussi incohérents à saluer la diversité de Barbès, moins divers que le 16e arrondissement.
Par un singulier retournement de sens, on a voulu donner à la diversité celui de l'altérité. On a cru que l'on ne pouvait combattre la xénophobie que par son inverse, la xénophilie, alors que celle-ci procède de la même logique déterministe. Elle est aussi mortifère que la xénophobie. Là où le xénophobe a peur de l'étranger en ce qu'il est étranger (et non en ce qu'il peut être, comme tout homme, apeurant), le xénophile aime l'étranger parce qu'il est étranger, sans considération de ses qualités humaines.
Je ne crois pas que ce soit un cadeau fait aux minorités que de les assigner ainsi à résidence ethnique, en faisant d'elles les faire-valoir de nos fantasmes multiculturels.
Roman Bernard