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123ème semaine de Sarkofrance: le story-telling est-il en crise ?

Publié le 12 septembre 2009 par Juan

123ème semaine de Sarkofrance: le story-telling est-il en crise ?
Cette 123ème semaine depuis l'élection de Nicolas Sarkozy a mis le story-telling présidentiel à rude épreuve en Sarkofrance: un ministre suspecté de déclarations racistes, les coulisses d'une "rencontre de terrain" dévoilées, une taxe carbone qui fait flop, une contamination grippale sous-évaluée, une vraie-fausse vente de Rafales, des aides aux chômeurs qui n'aident finalement pas grand monde... La réalité reste encore et toujours la meilleure opposante au discours sarkozyen.
Les coulisses des visites présidentielles
Le "story-telling" s'est répandu en politique comme la grippe A dans nos classes d'école: avec une virulance et une rapidité remarquables. Et Nicolas Sarkozy aime et excelle à raconter des histoires. Pour ce, les shows doivent être rôdés, les prises de paroles préparées, le décor et les figurants soigneusement choisis. On savait cela depuis longtemps. Lors de sa tournée des vœux au début de l'année, quelques journalistes relataient déjà le déroulement de ces visites présidentielles: les lieux retenus en province sont isolés, aisément quadrillés par un dispositif policier massif pour éviter toute banderole contestataire désagréable. Quand un préfet du coin manque à contrôler d'éventuels manifestants, il est muté illico. Sarkozy ne visite plus qu'une Sarkofrance bouclée ou castée.
Il y a 8 jours, un journaliste de la RTBF a dévoilé les coulisses de l'une des innombrables "rencontres de terrain": les salariés rencontrés par Sarkozy dans l'usine normande Faurecia étaient en fait des volontaires venant d'autres établissements. Et ceux figurant derrière le président sur son estrade pendant son monologue avaient été retenus sur des critères de ... taille.
Les 36 Rafales du Super-Monarque
Lundi, Nicolas Sarkozy voyageait comme il aime le faire: un déplacement express au Brésil pour saluer Lula, et ramener un juteux contrat de vente de 36 Rafales Dassault. Vingt-six heures d'avions pour moins de vingt-quatre sur place. Il faut bien rentabiliser le nouvel Air France One, du surnom de son nouvel Airbus acquis l'an dernier. Les médias se félicitent du coup d'éclat présidentiel. Quelques-uns notent que Sarkozy a promis un transfert de technologie et de savoir-faire intégral en faveur de l'armée brésilienne pour faciliter la vente. D'autres soulignent que Sarkozy ne conçoit la diplomatie que commercialement utile. Dassault n'avait jamais réussi à convaincre un Etat étranger d'acheter ses avions Rafale. Sarkozy pavoise, plaisante sur le barbecue que son homologue lui aurait promis, seul engagement non tenu à ce jour. Il n'a pas fallu attendre une semaine pour apprendre que deux autres constructeurs concurrents étaient encore en lice contre Dassault. L'Etat major brésilien avait prévu de rendre sa décision dans un mois. Le ministère de la défense a fait savoir que rien n'était gagné: "le processus de sélection n'est pas encore terminé. Les négociations se poursuivront avec les trois participants, au cours desquelles les propositions présentées seront approfondies, et éventuellement redéfinies." Patatras ! L'histoire d'un Superprésident-supervendeur n'était ... qu'une histoire.
Au Gabon, la Françafrique reconnaissante
Les contorsions diplomatiques de Sarkozy, Kouchner et Joyandet sur l'Afrique n'auront servi à rien. Au Gabon, il se murmurait de plus en plus fort qu'Ali, fils d'Omar (Bongo), était le candidat à la présidence préféré par la France. Le secrétaire d'Etat Alain Joyandet répétait pourtant à l'envie que la France n'avait pas de candidat. La France est neutre, la Françafrique, c'est fini ! Puisqu'on vous le dit... Lundi, un avocat lobbyiste historique de la Françafrique, Robert Bourgi, lâche brutalement un gros morceau au micro de RTL: Jean-Marie Bockel, prédécesseur de Joyandet à la Coopération, a été viré de son poste sur un simple coup de fil d'Omar Bongo l'an passé. Quarante-huit heures plus tard, Joyandet se contorsionne encore davantage devant quelques journalistes de la chaîne Public Sénat. Alors que certains s'étonnaient du silence français devant les soupçons de fraude électorale, et les 15 morts qui ont suivi l'annonce du résultat de l'élection présidentielle au Gabon, le secrétaire d'Etat explique que le scrutin a été "acceptable". Interrogé sur le sens de sa présence, unique parmi les pays occidentaux, au cérémonies du 40ème anniversaire de la dictature du Colonel Khadafi, Joyandet a eu ensuite cette première phrase remarquable :"les intérêts de la France passent avant tout."
L'échec de la lutte contre la fraude
Mercredi dernier, Eric Woerth s'est également livré à un bel exercice de "story-telling". Trois jours auparavant, il avait dévoilé disposer d'une liste de 3 000 contribuables français ayant quelques 3 milliards d'euros d'avoirs placés en Suisse. Mercredi soir à la télévision, Woerth affiche fièrement que sa cellule spécialement créée en avril dernier reçoit désormais une quarantaine d'appels par jour de contribuables inquiets. Questionné sur l'impact de son annonce, le ministre avoue rapidement qu'il ne sait dire si ces 40 appels émanaient tous de fraudeurs, ni combien demandaient réellement une régularisation de leur situation. Mais il poursuit l'histoire, se mettant à la place de ces fraudeurs qui "se disent 'je suis dans une situation illégale, j'interroge mon avocat', et l'avocat est en train de changer d'avis". La réalité est tristement plus simple: depuis un an, le gouvernement peine à concilier un discours vindicatif contre les nouveaux boucs-émissaires de la finance mondiale, et notamment les paradis fiscaux, et une pratique politique d'une clémence et une inaction incroyables. Aucune des grandes banques françaises n'a été publiquement sommée de dévoiler ses propres comptes expatriés. En avril, Bercy a installé une cellule d'accueil pour exilés fiscaux désireux de régulariser leur situation. Cinq mois plus tard, moins d'une trentaine d'entre eux, aux dires du ministre, avaient soldé leur passif, et une soixantaine d'autres étaient encore à l'étude. Un flop intégral. Pire, le ministre répète que ces "rapatriés" devront payer des pénalités. Le journal Libération révèle, test à l'appui, que ces pénalités sont (1) négociables et (2) limitées aux sommes évadées de France depuis 2003... Story-telling, quand tu nous tiens...
Chômage: où sont les primes ?
Depuis des mois, le gouvernement se félicitait des mesures sociales décidées par son Monarque, sous la contrainte de la crise et de la rue. En février dernier, il affichait ses publicités dans les pages des journaux: "des mesures justes, des mesures immédiates". L'une d'entre elles était la fameuse prime de 500 euros pour les chômeurs. Nicolas Sarkozy nous racontait alors qu'il fallait aider "les chômeurs qui ne peuvent pas bénéficier de l’assurance chômage parce qu’ils n’ont pas assez cotisé en tout cas assez longtemps et qui ont travaillé au moins pendant deux mois."
Certains grincheux, des antisarkozystes primaires sans doute, avaient critiqué les conditions d'attribution de la dite prime. Elle ne concernait que les personnes ayant perdu leur emploi entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2010. Six mois plus tard, au lieu des 200 000 bénéficiaires attendus, à peine 3 283 ont pu toucher leurs 500 euros. Et Laurent Wauquiez a même l'outrecuidance de justifier que ce mauvais "rendement" est la preuve de l'efficacité des nouvelles règles d'indemnisation du chômage.
A nouveau, c'est un flop intégral.
Cacophoniques, les estimations du nombre de destructions d'emploi cette année se sont percutées cette semaine. Le gouvernement nous expliquait ses derniers mois que la France était le modèle des économies occidentales, qu'elle résistait mieux que ses voisins grâce au plan de relance. Le ministère de l'emploi s'appuyait ainsi sur les chiffres de l'INSEE. L'institut constatait une décélération du nombre de destructions d'emplois dans le secteur privé au second trimestre (107 000), par rapport au premier (178 000). Cette semanine, la confusion est totale. L'ACOSS, qui rassemble les données des Urssaff, a d'autres chiffres, basés sur les calculs de cotisations sociales du secteur privé. Et ils sont différents: 207 000 pertes d'emplois privés au second, comme au premier trimestres de cette année.
Quelle est la bonne version de l'histoire ?
La grippe, c'est combien ?
Pour éviter de parler chômage, on cause grippe A. C'est le vacarme du moment. Le gouvernement nous rabache ses appels à la vaccinations, reportages télévisuels à l'appui. Des médecins et infirmiers s'inquiètent: les vaccins ont des effets secondaires, et celui-là est mal maîtrisé car trop récent. Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé, se transforme un peu plus chaque jour en VRP des labos pharmaceutique. Il faut écouler les stocks sans paniquer les foules. Imaginez vous, 94 millions de doses ont été commandées, pour un gros milliard d'euros ! On s'est alors rappelé cette inauguration d'une usine Sanofi, au Mexique, en marge de la visite de Sarkozy sur place. C'était deux mois avant le tout premier cas "officiel" de grippe porcine. Et Sanofi annonçait déjà qu'il serait en mesure, avec cette usine, de fabriquer les vaccins nécessaires à une épidémie éventuelle... de grippe.
On se dispute aussi sur les chiffres : alors que les autorités sanitaires françaises ne confirmaient que 6 000 cas supplémentaires par semaine en France métropolitaine, un syndicat d'infirmier avançait lui le nombre de 20 000 nouveaux cas hebdomadaires. Et d'autres, responsables médicaux, politiques ou du corps judiciaire, pétitionnent contre certaines mesures gouvernementales envisagées contre la propagation de la grippe, tels la mise en place de jugements en huis clos avec un juge unique, la prolongation des détentions provisoires sans audience ni débat, ou la suspension des délais de prescription.

La taxe carbone... carbonisée par l'impréparation.
La semaine dernière, Nicolas Sarkozy avait fait savoir qu'il reprenait en main l'épineux dossier de la taxe carbone. ce fut chose faite ce jeudi, avec l'annonce des modalités précises du dispositif: 17 euros de taxe sur la tonne de CO2, un "régime de faveur" pour 3 secteurs menacés (agriculture, pêche et transports routiers !), et une compensation fiscale encore imprécise. Ségolène Royal, puis le Parti Socialiste avaient sonné la charge contre cette TVA verte. Les sondages plongent. François Fillon grille ses cartouches en dévoilant précipitamment au Figaro Magazine que la taxe carbone ne serait que de 14 misérables euros, avec une compensation encore très floue de l'inflation inévitable que les ménages les plus modestes allaient subir en retour. Sarkozy fait semblant d'arbitrer (17 euros au lieu de 14 !). Trop faible pour être efficace, trop lourde pour être indolore pour les plus précaires, la taxe carbone est carbonisée avant de naître. Même l'optimiste ministre de l'Economie Christine Lagarde a dû reconnaître que la taxe sera "parfois injuste". Jeudi, Sarkozy n'a pas changé la donne. Pire, en exonérant partiellement les transports polluants, il aggrave la déception des quelques promoteurs du projet.
La gestion politique de cette première tentative française de fiscalité écologique contre le réchauffement climatique est surprenante d'incompétence et d'impréparation. Voici sept ans que Nicolas Sarkozy répète à qui le demande qu'il a rodé son programme dans les moindres détails, deux ans et demi qu'ily a signé le Pacte Ecologique de Nicolas Hulot, vingt et un mois que le Grenelle de l'Environnement a livré ses conclusion, six mois que les thèses écologistes ont convaincu comme jamais jusque dans les urnes; et voici le Monarque qui échoue à convaincre. La France semblait verte, et Sarkozy se prend le mur. Il transforme l'or en plomb. Pourquoi ? Encore une fois, le story-telling a ses limites, celles de la réalité, cette fois-ci des opinions. A la télévision française ou sur les tribunes internationales des G20 et autres sommets, Sarkozy racontait l'urgence à lutter contre le réchauffement climatique, défendre la planète de nos enfants, et taxer les pollueurs. Jeudi, Sarkozy a dû révéler ce que signifiait l'écologie à droite: une taxation injuste, inefficace et mal préparée.
La diversité fusillée par Hortefeux ?
La semaine s'est terminée sur une autre épreuve infligée au story-telling sarkozyen: le ministre de l'intérieur a été emporté par une polémique. La video d'un échange public avec des militants UMP le week-end dernier lors de l'université d'été de son parti a frappé de stupeur tous les commentateurs. On y entendait Hortefeux blaguer à propos d'un militant arabe:" Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes." Le ministre se défend (la blague concernait les Auvergnats comme lui, pas les Arabes), et crie à la cabale, secondé par Henri Guaino, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, et l'improbable Jack Lang. Quelle galère ! Depuis des semaines, Brice Hortefeux tentait de redresser son image. Il y a 15 jours, il a ainsi publiquement sacqué un préfet soupçonné de propos racistes dans un aéroport. Le préfet conteste, mais il fut mis en retraite d'office sans attendre les résultats de l'enquête. la semaine dernière, Hortefeux rencontrait des associations de jeunes, soigneusement castées. Vendredi, Hortefeux s'est précipité pour faire communiquer sa participation à un dîner pour la rupture du jeûn, la fin du ramadan, à Clermont Ferrand, "à l'invitation des Musulmans d'Auvergne." Pire, cet écart verbal du ministre, qui n'est pas le premier, fusille la belle image de diversité affichée par Nicolas Sarkozy dans la composition de son gouvernement depuis 2007.
Les belles histoires n'ont pas la vie dure. La réalité rattrape toujours les bonimenteurs.
Ami sarkozyste, où es-tu ?


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