Doué mais mal-aimé : tel est Jan Kounen, trois longs en dix ans, plein d'ambition et de talent, mais qui ne parvient pas à amener ses films au meilleur de leur potentiel. 99 F est le révélateur parfait du cinéma de Kounen : ponctué d'éclairs de génie, de petits moments réjouissants et de plans séduisants, il n'a cependant pas l'étoffe d'un bon film. Il y avait pourtant du potentiel : Nicolas et Bruno, les gars du Bureau et des Messages à caractère informatif, ont adapté mieux que quiconque un roman qu'on n'imaginait pas aussi cinématographique. Les maximes et gimmicks de Beigbeder sont retranscrits au gré de saynettes souvent amusantes. Octave, le double de l'auteur, est interprété par un Jean Dujardin très professionnel, qui commence par la jouer Brice de Nice version golden boy, avant de se lancer d'imiter à la fois Ray Liotta et Bob de Niro dans Les affranchis.
Dans ses intentions, 99 F est d'ailleurs un film très scorsesien, avec sa narration à la Casino et ses digressions mystiques. Seulement voilà : Kounen n'est pas Scorsese, et très vite 99 F oublie de passer la vitesse supérieure. Le film ressemble en fait aux pubs qu'il dénonce : tape-à-l'oeil, brillant par moments, mais terriblement mauvais dès qu'il s'abandonne à l'excès. La partie "satire du monde de la pub" a beau être anecdotique, elle est toutefois assez drôle et mille fois meilleure que la longue partie "déchéance, kilos de coke et petites pépées", déjà pas bien folichonne dans les romans de Beigbeder.
Kounen aurait voulu faire de 99 F un Fight Club à la française ; du film de David Fincher, il n'a malheureusement retenu que la charge anti-société de consommation, qui n'était que la surface d'un mille-feuilles politique, philosophique et visuel. Par moments, il copie allègrement Fincher, notamment lorsqu'Octave essaie des chemises et se retrouve brusquement au coeur du catalogue de la marque, entouré par les descriptifs et les commentaires. Là, au milieu des textes, et en étant très attentif, on peut lire quelque chose comme "oui, cette scène utilise le même principe que Fight Club, et alors?". Terrible aveu de l'impuissance d'un metteur en scène condamné à copier les voisins américains avant de nous faire passer cela pour un clin d'oeil.
Pourtant, Kounen n'est jamais aussi bon que lorsqu'il essaie d'être simplement lui-même : la dernière partie du film, bizarre et mystique, n'a pas grand chose à faire là mais possède une griffe sincère et touchante qui rappelle les meilleurs moments de l'incompris Blueberry. Trop tard : les yeux en vrac et les tympans qui saignent, on s'est déjà lassé depuis belle lurette de cette comédie faussement cynique et vraiment hystérique qui pense que le terme "à l'américaine" est le plus compliment que l'on puisse faire. Le pire, c'est cette morale affreusement dégoulinante en toute fin de film, lorsqu'un carton annonce qu'un dixième du budget mondial de la pub suffirait à réduire de moitié la fin dans le monde. Le genre de remarque qui peut foutre un film en l'air ; heureusement que c'était déjà fait.
4/10