Il y a des fois où je suis comme aspiré dans un tourbillon sans fin, sur Internet. D’un sujet, je passe à l’autre, et encore à un autre, et je n’arrive plus à m'en sortir, ni à me rappeler ce que je cherchais au départ. C’est effarant de ne pas se souvenir à quel moment j’ai commencé à me laisser glisser dans le vide.
Cela a commencé par une route de campagne... Bon, non, pas vraiment. Sur Wikipédia, tout à l’heure, mon attention a été attirée par un article mis en «Une» : on parlait du réflexe photo-sternutatoire. Avec son côté trapu et hermétique, cette formulation m’a intriguée. Alors je clique, et là, j’apprends que c’est un phénomène physiologique où le sujet éternue lorsqu’il est exposé à une forte source de lumière. Caroutcho ! Mais c’est pile mon cas ! Quand je regarde le soleil en face ou une lampe de très près, j’éternue. Radical. Ça paraît incroyable, mais je vous jure que c’est vrai. Il paraît que c’est dû à une sur-stimulation du nerf optique. Du coup, ce déluré se met à tripoter son voisin, le nerf trijumeau, et ça déclenche le réflexe d’éternuement dit sternutatoire. Moyennant quoi, j’éternue plus que la moyenne, car nous sommes grosso modo un quart des êtres humains à être affectés par ce syndrome détonant.
Par voie de conséquence, on me dit plus souvent que les autres «A tes souhaits» ou «A tes amours», ce qui me fait une belle jambe, à défaut d'augmenter ma chance ou mon sex-appeal. Mais enfin, moi qui croyais tenir une affection rare, un truc que je serais le seul à posséder, et que j’aurais pu raconter sur le plateau de la défunte «Ça se discute», avec toutes mes blessures secrètes en prime, je peux définitivement faire une croix et mon mouchoir dessus.
C’est très agréable d’éternuer sur commande. Je n’irais pas jusqu’à comparer ça avec un orgasme, mais ça fait un bien fou que seuls peuvent apprécier ceux qui sont pourvus de ce talent magique. De là à imaginer de faire un câlin sous les sunlights, vous imaginez les cris d’ambiance… J’en étais là de mes réflexions érotico-décalées, quand un détail a attiré mon attention. Le phénomène en question se dit
Autosomal dominant Compelling Helio-Ophthalmic Outburst, ce qui, en anglais donc, génère le mot ACHOO (manque le d, soit dit en passant. Ils nous prennent vraiment pour des Flamby, des fois, les rosbifs…). Effectivement, il faut être anglophone pour comprendre que l’abréviation sonne comme le bruit de l’éternuement.
«Mais M'sieur, c’est quoi un rétro-acronyme, siouplait M’sieur ?» Ah merci, et bravo, y en a trois qui suivent, ça fait plaisir. J’ai donc cliqué sur
«rétro-acronyme», car je n’avais pas moindre idée de ce que signifiait ce x*%@ de mot.
La définition du rétro-acronyme, c’est le fait d'interpréter un mot comme un acronyme (une suite de premières lettres de mots, qui forme un autre mot) alors que ce n'en est pas un à l'origine, ou pour donner un nouveau sens à un acronyme existant. OK, OK, j’explique, avec des exemples. Quand on vous dit Ovni, vous savez que ça veut dire
«Objet volant non identifié». C’est un acronyme. Si on vous dit SOS, vous répondrez –on ne souffle pas-
«Save our Souls». Eh ben justement non, SOS, ça ne voulait rien dire au départ, on a inventé ce signal très court à retenir en langage Morse (du nom de son inventeur, pas du bestiau marin), et c’est seulement après qu’on lui a donné la signification qu’on voulait dans chaque langue. C’est donc un retro-acronyme. RATP (qui est un sigle) est devenu pour certains
«Rentre Avec Tes Pieds», et ça, c’est aussi un rétro-acronyme. Capito ?
Autre exemple, quand j’étais à Air France, quelques petits malins ricanaient de la concurrence en parlant de Sabena, compagnie aérienne, comme
«Such A Bad Experience Never Again». Ou encore de Lufthansa, élégamment surnommée
«Let Us Fuck The Hotess As No Stewart Available». Mais ils sont drôles, ces navigants, savez-vous ? Je vous laisse deviner les rétro-acronymes du PSG, de la Fnac, du LSD et des SMS. Ce n’est pas le sujet de ma note. Et puis je ne veux pas d’histoire avec le Kop de
Boulogne.
Et c’est à ce moment précis que j’ai perdu pied. J’ai cliqué sur SOS, et je me suis retrouvé sur la fiche du Code Morse. Un clic de plus et vlan, je suis tombé après une longue chute sur Samuel Morse (désolé, vieux…), lequel est né à Charlestown, clic, un quartier de Boston. Re-clic, Vraaaaa, j’ai giclé sur Boston, et en voulant me rétablir, je me suis effondré sur les écrivains de Boston, clic. Le temps de frotter mes genoux, j’ai voulu m’asseoir sur un fauteuil à bascule et je suis parti à la renverse sur, clic, Edgar Allan Poe, qui débouchait de son cabinet de travail. Il a été très surpris, et il a fait une drôle de pirouette, avant de s’affaler en arrière à son tour. Dans un bruit de tasses brisées et avec un craquement de bois sinistre, toute sa bibliothèque avec ses œuvres (clic) s’est effondrée sur le côté. Poe étant KO pour le compte, j’ai voulu réparer ma bévue et j’ai discrètement ramassé les volumes tombés sur le tapis. J’en ai attrapé un, j’ai cliqué sur le titre «Le scarabée d’or». L’éclat d’une lampe halogène sur le métal précieux m’a fait bruyamment éternuer. Car figurez-vous que je suis atteint d’un étrange syndrome…
Illustrations : Catch me if you can/Spielberg, wikipedia, DR, Walt Disney pictures