C’est l’histoire d’une radio pirate qui narguait le gouvernement néo-zélandais à la fin des 60 depuis les eaux internationales. C’est l’histoire de “Good Morning England“… version kiwi !
“Moi-même, ainsi que tous ceux qui se sont impliqués dans Hauraki, étions mus par notre dégoût de la radio d’Etat, notre amour du rock’n'roll et notre ardent désir d’aventure. Notre but était d’amener la musique sur les ondes, 24 heures sur 24.” Plus de quarante ans après, David Gapes s’en souvient encore. Il faut dire que Radio Hauraki, c’était lui. C’était son idée, née entre deux bières, en 1965, dans un pub de Wellington. En plein dans les sixties, à l’époque où la radio néo-zélandaise, tout comme la BBC britannique, restait un monopole d’Etat. Selon Gapes, on n’y entendait “que des accents British et snobs, des pubs horribles et pas de musique”.
Le Danemark avait eu Radio Mercur dès 1958. Le nord de l’Europe avait suivi, notamment le Royaume-Uni avec Radio Caroline. C’était maintenant au tour de la Nouvelle-Zélande. Puisque le gouvernement refusait de leur accorder une licence privée pour émettre depuis les terres, David Gapes, Denis “Doc” O’Callahan, Derek Lowe et Chris Parkinson allaient prendre la mer et diffuser depuis les eaux internationales, dans le golfe d’Hauraki, à l’Est d’Auckland. Plus facile à dire qu’à faire, toutefois. Malgré la ferveur populaire, le soutien de la communauté maritime et les encouragements de la presse, le gouvernement était bien décidé à empêcher le Tiri de rejoindre le large.
The Boat That Rocked
Deux mois durant, le Département de la Marine avait repoussé l’échéance, multipliant les inspections de navigabilité et les avis négatifs afin de maintenir le rafiot à quai, “pour raisons de sécurité”. Lassé par ce petit jeu, l’équipage du Tiri avait finalement décidé d’ignorer ces injonctions et de prendre le large. Le dimanche 23 octobre 1966, devant une foule de 200 supporters, les pirates levaient donc l’ancre, effectuaient leurs premières manoeuvres… avant d’être stoppés net par la police, qui lançait l’abordage et arrêtait l’équipage.
La deuxième tentative fut la bonne : le 10 novembre, à 10h du soir, le Tiri parvenait à parcourir discrètement les 3 miles le séparant des eaux internationales. Le temps de monter l’antenne et, le dimanche 4 décembre 1966, à 10h du matin, le rêve devenait réalité : Radio Hauraki lançait sa première émission, consacrée à la déjà tumultueuse histoire de la station ! Et parce que la musique était leur raison d’être, les pirates ne tardaient pas à diffuser un premier morceau fort en symboles : “Born Free”, de Matt Munro.
Gentils pirates
En se calant sur 1480kHz pour écouter le “Good Guy” Paddy O’Donnell animer sa première matinale en ce même mois de décembre 1966 (extrait 1, extrait 2, extrait 3), on pouvait apprendre que la moyenne d’âge des 25 propriétaires et opérateurs de la station était de 24 ans, d’où le slogan fièrement proclamé “Radio Hauraki, la radio la plus jeune au monde” !
Pour autant, la vie à bord n’était pas forcément aussi glamour que ce que laisse imaginer Good Morning England. Dans un entretien récemment accordé au New Zealand Herald, David Gapes soulignait ainsi l’écart entre la fiction de “Radio Rock” et la réalité de Radio Hauraki : “Nos gars n’étaient pas des saints. Mais l’environnement n’incitait pas aux fêtes. L’alcool n’était bien sûr pas interdit mais ne figurait pas non plus sur notre liste de course. Il était rare de voir des femmes à bord. Quant aux quartiers de l’équipage à l’arrière, ils étaient minuscules, exigus et vraiment pas glamour.” Bref, oubliez le fameux “sex, drugs and rock’n'roll”…
La vie des pirates n’était pas toujours rose. Elle a même plusieurs fois eu tendance à virer au cauchemar. Le 28 janvier 1968, pris dans une tempête, le Tiri s’échouait contre les rochers, pendant que Derek King commentait cette mésaventure en direct sur les ondes de Radio Hauraki. Ce grand moment de radio, conclu par “L’équipage d’Hauraki abandonne le navire. Ici Paul Lineham à bord du Tiri. Bonsoir“, est disponible sur YouTube. Le naufrage ne fit heureusement pas de victime et, un mois jour pour jour après l’accident, les pirates étaient de retour dans les eaux internationales, à bord du Kapuni, rebaptisé Tiri II ! Trois autres échouements suivront, le 10 avril, le 15 mai et le 13 juin 1968, avec à chaque fois un retour sur les ondes au bout de quelques jours, toujours à bord du Tiri II.
Tiri II échoué sur Uretiti Beach (juin 1968)
Tous ces efforts allaient finir par être récompensés : le 24 mars 1970, la Broadcasting Authority prenait le contre-pied de la New Zealand Broadcasting Company et délivrait enfin deux premières licenses privées de radio-diffusion, dont une pour Radio Hauraki ! Après une dernière journée d’émission en mer conclue le 1er juin 1970 à 10h du soir, les pirates regagnaient la terre ferme et leur studio à Auckland. Un voyage retour marqué par la tragique disparition par-dessus bord du “Good Guy” Rick Grant (Lloyd Jones de son vrai nom). L’aventure off-shore de Radio Hauraki avait duré précisément 1 111 jours.
Radio Hauraki existe toujours en 2009. Si son logo et le nom de certaines émissions rappellent le glorieux passé de la station, elle semble aujourd’hui être rentrée dans le rang, ciblant essentiellement un public d’hommes de 25 à 50 ans amateurs de “classic rock”. Mais les souvenirs restent tenaces dans le coeur de nombreux Néo-Zélandais, comme en témoignent les messages laissés sur ces pages Internet, ouvertes en 2006 à l’occasion des 40 ans de la station. Celui-ci par exemple :
“Tout semblait tellement plus fun avec Radio Hauraki. Beaucoup de musique, surtout les week-ends. Mon père avait ses chevaux et le rugby, et moi j’avais 1480 (fréquence kHz de Radio Hauraki, ndlr). C’était génial.”
→ A regarder. Un extrait de l’émission Close Up du 10 novembre 2006, consacré à Radio Hauraki (8′29) : cliquez ici.
→ A lire. The Shoestring Pirates : Radio Hauraki, par Adrian Blackburn (Auckland, Hauraki Entreprises, 1988). 172 p.