L'essai de Hoppe, paru dans The Journal of Libertarian Studies [13:2 (Summer 1998): 221-233], sous le titre The case for free trade and restricted
immigration (ici) [en version française ici], semble aboutir à des conclusions différentes de celles de Jan Krepelka. Pour un
lecteur extérieur, il y a en fait moins de distance entre les conclusions qu'entre les deux points de départ des deux auteurs.
Pour Jan Krepelka,
la liberté de mouvement découle tout naturellement du droit de propriété : acquérir une maison et pouvoir y emménager où qu'elle se trouve, prendre un emploi ou même
acheter un billet d'avion et louer une chambre d'hôtel sont autant d'échanges relevant du droit de propriété, et qui ne devraient par conséquent nécessiter le consentement que de ceux qui y
prennent part.
Pour Hans-Hermann Hoppe,
c'est (...) le caractère absolument volontaire de l'association et de la séparation humaines - donc l'absence de toute forme d'intégration forcée - qui rend
possible les relations paisibles - le libre échange - entre des peuples racialement, ethniquement, linguistiquement, religieusement ou culturellement distincts.
Les deux mots importants sont ici chez l'un consentement et
chez l'autre volontaire.
Les deux auteurs se placent, chacun à sa manière, d'un point de vue humain. Le premier du point de vue des droits universels, le second de celui du libre échange, qui en découle. L'un part
d'une généralité, l'autre d'une singularité.
Jan Krepelka n'escamote pas le problème des inconvénients de l'immigration :
- les étrangers représentent une part importante dans la criminalité
- les politiques sociales "généreuses", financées par les résidents, empêchent bien entendu un pays d'accueillir toute la misère du monde
Il relève aussi que les lois sur les étrangers et l'asile se sont durcies au fil du temps
prenant systématiquement la forme d'entraves de l'Etat à la liberté d'association et à la liberté personnelle en général. Ce n'est donc sans doute pas un hasard si le XXe
siècle aura été à la fois le "siècle de l'Etat" et celui des restrictions légales à l'immigration.
A juste titre il rappelle qu' un travail n'est pas une propriété et que les vraies causes pour lesquelles
certains ne retrouvent pas un emploi sont à chercher non pas du côté de l'immigration mais du côté :
- des lois restreignant le licenciement
- des autres réglementations du travail
- des impôts sur les entreprises et sur le revenu des salariés
- des politiques protectionnistes de l'Etat
Le fait est que la politique migratoire a un coût, dont on pourrait se passer en grande partie s'il n'y avait ces contrôles de l'immigration induits par une
politique générale elle-même coûteuse.
Dans son essai Hans-Hermann Hoppe dissocie justement libre échange et immigration :
Les phénomènes de l'échange et de l'immigration sont fondamentalement différents, et la signification des mots "libre" et "limité" en conjonction avec les deux
termes est totalement différente. Les individus peuvent bouger et migrer; les biens et les services ne le peuvent pas par eux-mêmes.
L'échange libre se fait à l'invitation de propriétaires et d'entreprises privées. Quand il est limité, il y a invasion et abrogation de leur droit à
inviter sur leur propriété. A l'inverse l'immigration libre signifie invasion non désirée et intégration forcée, tandis que, quand elle est limitée, elle protège les citoyens et le droit à
inviter des propriétaires et des entreprises.
Il prend ensuite le cas limite d'un pays sans Etat, et où toute la propriété est privée. Dans ce cas-là l'immigration ne peut être qu'une immigration invitée, c'est-à-dire limitée. Dans la
réalité il existe un mélange de propriété privée et de propriété publique, et un gouvernement dont le devoir est de réduire la quantité de propriété publique autant que possible.
Mais :
quel que soit le mélange de propriété privée et de propriété publique, le gouvernement doit soutenir - plutôt que criminaliser - le droit de tout propriétaire privé
à admettre et à exclure les autres de sa propriété.
Jan Krepelka pense que l'immigration, qu'elle soit due à des motifs économiques ou non ne devrait être ni entravée ni encouragée :
L'immigration serait (...) remplacée par une mobilité internationale qui relèverait uniquement du domaine qu'elle n'aurait jamais dû quitter : celui de la liberté
d'association, de la liberté économique et de la liberté contractuelle (...) Dans une société libre, chacun serait (...) libre d'inviter ou non des personnes provenant d'autres lieux
géographiques. Le droit de propriété, tout en justifiant la liberté de mouvement, en pose également la limite : chacun serait libre de refuser de financer la venue d'autres
personnes.
Vous aurez noté au passage les mots inviter et limite qu'emploie Krepelka tout comme Hoppe...
Jan Krepelka conclut :
Une approche pragmatique peut dès lors être une approche humaniste : reconnaître l'inefficacité du contrôle étatique de l'immigration et laisser la possibilité à
tous de venir, dans le cadre des droits de propriété des résidents.
Hans-Hermann Hoppe conclut :
En démontrant que le libre échange est incompatible avec une immigration libre (inconditionnelle ou conditionnelle), et qu'il réclame à la place que les migrations
soient soumises à la condition d'être invitées et contractuelles, nous espérons avoir contribué à éclairer les politiques futures dans ce domaine.
Quand Jan Krepelka dit que tout le monde peut venir à condition de respecter les droits de propriété des résidents, dit-il autre chose qu'Hans-Hermann Hoppe quand il dit que ne peuvent venir
que ceux qui y auront été invités et auront conclu des contrats avec les résidents ?
Francis Richard