:: Le « Che » était un révolutionnaire désintéressé, mais…

Par Louis

Rappel nécessaire à l'heure où, dans les milieux intellectuels “radicaux” et une partie de l'extrême-gauche, il redevient tendance d'encenser Guevara :

[extrait de 9 octobre 1967 : l'assassinat de « Che » Guevarade Jacques FONTENOY dans le Lutte ouvrière n°2044].

En 1965, Guevara reprit la guérilla, au Congo d'abord puis en Bolivie l'année suivante. Pour lui, il fallait « créer un, deux ou trois Viêt-nam », un « internationalisme » qui était plutôt un inter-nationalisme : faire que dans différentes régions du monde, à l'imitation du combat du peuple vietnamien, se multiplient les foyers de lutte contre l'impérialisme américain.

La lecture de son Journal de Bolivie, où le « Che » a consigné au jour le jour ses impressions et les difficultés rencontrées, révèle l'isolement de sa dernière guérilla. Les rares paysans rencontrés par les guérilleros étaient si effrayés par leur présence que, d'après le « Che », ils avaient tôt fait de les dénoncer aux forces armées. Guevara y montre aussi que jusqu'au bout, il considéra la classe ouvrière au mieux comme une force d'appoint à la guérilla. Lorsque l'armée bolivienne réprima dans le sang le 24 juin 1967 un mouvement de protestation des mineurs, il écrivit que « le massacre dans les mines éclaircit considérablement le panorama pour nous ». Et dans une adresse à ces mineurs, il estimait qu'« il ne faut pas persévérer en des tactiques fausses, héroïques sans doute, mais stériles », invitant les mineurs à le rejoindre : « Ici, nous transformerons la déroute en triomphe et la plainte des veuves prolétariennes en un hymne de victoire ».

Le sort tragique de Guevara fut celui de beaucoup d'hommes et de femmes d'Amérique latine dont les guérillas, isolées et anéanties par l'armée, furent le tombeau. Comme Guevara, même quand ils se réclamaient du socialisme, ils ne comptaient nullement sur la classe ouvrière pour transformer mais plutôt sur les masses paysannes. Mais, surtout, pour eux, c'était à l'appareil militaire de la guérilla de diriger la révolution, pas aux masses populaires. Ils se méfiaient plutôt de la force potentielle que donne au prolétariat sa place dans la production capitaliste.

Le « Che » était un révolutionnaire désintéressé, mais son combat comportait des limites précises, qu'il a ressenties lui-même au sujet de la révolution cubaine, finalement réduite à la lutte pour l'indépendance nationale et à la mise sur pied d'une économie nationale pour tenter d'échapper un peu à la tutelle de l'impérialisme. Ces limites n'étaient rien d'autre que les limites sociales et nationales que les révolutionnaires réunis autour de Castro avaient eux-mêmes tracées. Étrangers à la classe ouvrière, jamais ils ne cherchèrent à élargir leur lutte en appelant, et en aidant, les travailleurs du monde entier à se soulever, comme l'avait tenté, par exemple, la révolution russe à ses débuts.

Tant mieux si le combat du « Che » impose à beaucoup la volonté de lutter contre le capitalisme et l'impérialisme. Mais ils doivent aussi savoir qu'il n'offre aucune clé pour le renverser.