La république bananière n’est pas toujours celle qu’on croit. Les révélations de l’occulte conseiller présidentiel, Robert Bourgi, sur les incroyables conditions du limogeage de Jean-Marie Bockel des affaires africaines mettent au grand jour un fonctionnement de l’Etat indigne d’une grande démocratie. Voire d’une petite. Outre les copinages et coquinages extérieurs en terres africaines, le rôle central avéré des conseillers de l’Elysée dans tous les domaines est proprement aberrant.
Le délitement de nos institutions est suffisamment avancé pour permettre, sans conséquences, à un conseiller de l’ombre, Robert Bourgi , de venir déballer sur l’une des radios les plus importantes de France (RTL) l’historique de l’éviction d’un ministre dont la bobine ne revient pas à nos riches amis africains.
Simple comme un coup de fil. Et Robert Bourgi raconte. “Un soir, je reçois un appel du président Bongo, je vous parle très franchement”. Il me dit : fiston, viens me voir. Il me dit : ça ne peut pas continuer. Il faut que tu dises à Nicolas que moi et les autres, nous ne voulons plus de ce ministre. Je suis allé voir le président de la République à l’Elysée en présence de M. Guéant et je lui ai passé le message ferme et voilé de menaces du président Bongo. Et il m’a dit : écoute, dis à Omar et aux autres chefs d’Etat que M. Bockel partira bientôt et sera remplacé par un de mes amis, un ami de M. Guéant.”
“Quel anesthésique a donc plongé l’opinion française dans la torpeur, quel sérum de cynisme, quelle démission collective, pour qu’elle ne réclame pas ordre et éthique au Président de la République dans sa politique africaine ?” écrit, bien isolé, Christophe Barbier dans L’Express.
La fonction change l’homme. Le président Sarkozy a vite oublié ses propos de ministre lorsqu’en 2006 à Cotonou il fustigeait les relations malsaines entretenues avec des chefs d’états corrompus et qui génèrent des détournements de fonds aux dépends des peuples.
Incroyable longévité que celle de la Françafrique personnifiée hier par Jacques Foccart , aujourd’hui par Robert Bourgi avocat, homme d’affaires trouble, et surtout de fait ministre français bis de la coopération.
Jean-Pierre Cot , Jean-Marie Bockel, même combat. Même punition pour deux hommes coupables d’aimer l’Afrique et d’être porteurs d’une certaine éthique. A la différence du second, le premier aura eu le panache de claquer la porte. Fasciné par François Mitterrand, Nicolas Sarkozy a reproduit en l’espèce le machiavélisme de son prédécesseur.
Ancien Premier ministre de François Mitterrand justement, Laurent Fabius est revenu sur l’affaire Bockel. Le député de Seine-Maritime s’est déclaré “choqué” par les propos de Robert Bourgi. “J’ai trouvé une espèce de vulgarité glauque dans ses propos, qui m’a choquée” et pourtant “je ne suis pas bégueule, je connais les réalités du pouvoir”. “Il y a une espèce de dérive qui montre que, là, dans ce domaine particulier de la République, au fond c’est le copinage qui prévaut”.
Dans le parallèle avec Jean-Pierre Cot, Laurent Fabius a reconnu qu’il y avait eu à l’époque un problème, mais qu’”en tous cas il n’y avait certainement pas ce copinage que l’on voit aujourd’hui”.
Plus qu’une simple diplomatie souterraine, l’affaire révèle un shadow exécutif dans lequel les vrais décisionnaires ne sont pas les ministres mais les conseillers de l’Elysée . De Henri Guaino (conseiller spécial) à Raymond Soubie (affaires sociales) sans oublier Patrick Ouart (justice) et Jean-David Levitte (affaires étrangères) pour ne citer qu’eux.
A ce rythme là, les dirigeants politiques hexagonaux et avec eux notre régime politique risquent de connaître un désamour similaire à celui des africains à l’égard de la France . Mêmes cause, mêmes effets.