Hella S. Haasse : "Des nouvelles de la maison bleue"

Par Schlabaya
Le mot de l'éditeur : "Après avoir vécu près d'un demi-siècle à l'étranger, deux soeurs retournent passer un été dans leur maison natale, aux abords d'Amsterdam, avant de la vendre. Épouse de diplomate, Félicia a vieilli dans l'enceinte des ambassades pendant que Nina partageait la vie de bohème d'un guitariste sud-américain. Leurs difficiles retrouvailles ont lieu sous l'avide regard des habitants du quartier, dont elles vont à leur insu bouleverser l'existence. Puisant sa singularité dans une poésie de l'étrange qui laisse la part belle à la rumeur, au rêve, au fantasme ou au cauchemar, ce roman se clôt sur un constat douloureux : on ne peut rien changer à son passé, et si peu à son destin."

Ce roman à la construction originale met en scène deux soeurs aux prises avec la nostalgie d'un passé dont elles découvrent qu'il est à jamais révolu... La maison bleue qui fut le théâtre de leur enfance a depuis longtemps perdu son âme. Restent les souvenirs d'une enfance privilégiée entre un père austère, érudit et respecté et une mère fantasque et frivole, issue de la haute société colombienne. La mort du professeur Lunius, le départ pour la Colombie et le remariage de Mme Lunius, chamboulant l'existence des deux filles, a contribué à idéaliser la maison bleue et les années d'enfance. Mais même leurs souvenirs communs ne peuvent rapprocher Félicia et Nina, dont les personnalités et les choix de vie sont antagonistes. Chacune fait le bilan de son passé. Félicia, qui a fait un mariage "de raison" et a vécu dans l'ombre de son époux, très loin de la réalité des pays dans lesquels elle a été amenée à séjourner, et qui a toujours désapprouvé l'activisme politique de sa soeur, réalise amèrement qu'elle est passée à côté de son existence, parce que tout simplement elle n'a pas osé vivre. Nina, durant des années, a mené la vie de bohème aux côtés d'un musicien engagé, s'est insurgée contre les dictatures, et a milité aux côtés des révolutionnaires et des Folles de mai. Une fois exilée, elle est cependant devenue célèbre malgré elle, du fait des manigances d'un ex-guérillero malintentionné... Dans la maison de son enfance, son passé la rattrape encore. Une voisine intrusive et ambitieuse la photographie à son insu, et insiste pour l'interviewer, espérant ainsi gagner la gloire pour elle-même; Félicia, qui souhaite aider sa soeur, la remet malencontreusement en présence de Pépé, son beau-fils, un guérillero devenu mafieux...

Le roman s'articule autour de l'opposition entre deux modes de narration : le récit principal qui alterne classiquement les points de vue des principaux protagonistes, entrecoupé à plusieurs reprises par un discours collectif (version moderne du choeur, ou coryphée, dans la tragédie antique) émanant des habitants du quartier résidentiel où est bâtie la maison bleue. Ce contrepoint éclaire différemment l'histoire, et nous fait comprendre l'importance de la maison bleue et de la famile Lunius dans la mémoire des gens du lieu, et le désenchantement qui s'ensuivra, de par la façon dont les soeurs Lunius seront perçues à leur retour.

Un roman assez sombre, qui montre les limites du pouvoir que chacun croit avoir sur sa propre destinée.