La terre a tremblé, les maisons se sont effondrées, des centaines d’hommes sont morts, il n’y avait plus que des ruines. On a reconstruit le village à 20 kilomètres, des années plus tard : la nouvelle ville est un endroit quasi désert, pratiquement sans habitants, mais peuplé de sculptures, une ville-musée contemporaine, emblématique et froide. C’est beau et solennel, commémoratif et imposant, tous les grands noms sont là, Pietro Consagra (qui est enterré ici), Arnoldo Pomodoro (L’araire ou la tragédie de Didon, 1986), Mimmo Rotella : une ville idéale, rédemptrice, un concept absolu, un pôle incontournable. Mais froid en diable, sans émotion autre qu’historique, sans sentiment autre que pathétique, sans implication sinon d’un touriste.
Il faut aller aux ruines de l’ancien village de Gibellina pour être saisi à la gorge par l’émotion, par la tristesse, par le désespoir, sortir de la culture et se retrouver dans la nature même : non point les ruines elles-mêmes, mais la chape de ciment qui les recouvre. La colline porte un tombeau immense, carré de plusieurs centaines de mètres de côté, ondulant sur le relief, minéral, écrasé par le soleil. Percé de tranchées, qui pourraient être les anciennes ruelles pentues qu’on gravit péniblement, c’est une vague qui a tout recouvert, c’est une immense pierre tombale sans noms et sans fleurs. Il Cretto d’Alberto Burri (1984-1989) est bien plus que du land art, c’est une empreinte dans le paysage, une trace mémorielle, un suaire miraculeux. On pleure presque en arpentant ces ruines nouvelles : l’émotion que le parc bien ordonné des statues de la nouvelle ville n’a pu faire naître se libère soudain face à cette oeuvre brutale, sauvage et tragique.