" Respire, doucement, comme tu sais faire. A la fois, j'ai besoin de cette fébrilité, de cette excitation, de cette énergie, je trépigne,
je renâcle comme un cheval avant la course. Attention, l'ouverture du rideau dans cinq secondes. Les murmures s'atténuent, quelques toux ponctuent les derniers mots et je tente d'apaiser ma
poitrine. Il n'y a aucune raison pour que ça se passe mal. Au lever du rideau il y a le noir, un point d'orgue, un vol en stationnaire délicieux et troublant avant de donner vie, de décider le
premier geste ou la première parole. Et le cheval se calme. Cette préparation, ce silence avant que l'archer touche les cordes, comme une prière, est une prière, et le public en salle sans le
savoir prie aussi. L'acte qui suit est sacré. Voilà pourquoi j'ai le trac, cette peur, ce cabot qui me bouffe le ventre, comme si j'abordais l'inabordable d'un territoire interdit. L'ouverture même
du rideau est sacrée puisque l'on va jouer le mystère de la vie en s'échappant du quotidien. Je n'allais pas répéter cette sonate à l'infini, chez moi et dans un théatre vide pour le plaisir de
souffrir seul. Sans public, on travaille en laboratoire, sans
évaluation.
Le spectateur est là pour vivre deux heures avec nous et partager un autre temps, une autre histoire. Notre premier souci est de faire en sorte que le voile de l'ennui ne descende jamais sur
lui et qu'il n'ait à aucun moment les fesses qui le démangent. Le but, finalement, au théâtre, est de respecter les fesses des spectateurs. "
Bernard Gireaudeau : extrait de " Cher amour " Métallié 2009
http://www.livres-a-lire.net/article-31786186.html
http://www.abaobxl.be/info/spip.php?article47