Le juge des référés du tribunal administratif de Nantes vient de rendre une ordonnance permettant de mettre fin à un système illégal de quota de domiciliations de demandeurs d’asile, imposé arbitrairement par la préfecture de Loire-Atlantique, qui devrait conforter les associations qui domicilient les demandeurs d’asile afin de les aider dans leurs démarches.
En effet, compte tenu des insuffisances du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, bon nombre d’entre eux se retrouvent à la rue et doivent se tourner vers des associations pour bénéficier d’une domicliation.
Or, pour faire une demande d’asile, les textes exigent du demandeur qu’il fournisse une adresse, afin de recevoir les correspondances de l’OFPRA et de la préfecture.
Dans cette hypothèse, l’article R741-2 4° du CESEDA précise :
« Si le choix d’une adresse se porte sur celle d’une association, celle-ci doit être agréée par arrêté préfectoral. L’agrément est accordé pour une durée de trois ans renouvelable aux associations régulièrement déclarées depuis au moins trois années dont l’objet est en rapport avec l’aide ou l’assistance aux étrangers, et justifiant d’une expérience dans les domaines de l’accueil, de la prise en charge, de la domiciliation ou de l’hébergement des demandeurs d’asile, ainsi que de leur aptitude à assurer effectivement la mission de réception et de transmission des courriers adressés aux demandeurs d’asile. »
Saisi de la légalité de cette disposition issue d’un décret du 14 août 2004, le Conseil d’Etat avait estimé que
“les dispositions contestées n’ont pas pour objet d’imposer aux demandeurs d’asile une élection de domicile au sens de l’article 111 du code civil mais uniquement de leur permettre de fournir, le cas échéant, l’adresse d’une association où ils pourront prendre possession du courrier qui leur sera adressé dans le cadre de l’examen de leur demande d’asile ; qu’il ne saurait, dès lors, être soutenu que les dispositions de l’article 2 du décret n° 2004-813 du 14 août 2004 participent à la définition des principes fondamentaux des obligations civiles des demandeurs d’asile et ressortissent, dans cette mesure, à la compétence exclusive du législateur ; qu’il appartenait également au pouvoir réglementaire de prévoir que les associations habilitées à offrir ce service devraient avoir été agréées à cette fin ; que l’introduction d’un tel agrément, pour des motifs tirés de l’intérêt général, ne porte pas atteinte à la liberté d’association ; qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit ne font obstacle à ce que l’agrément en cause soit octroyé uniquement aux associations régulièrement déclarées depuis au moins trois années, dont l’objet est en rapport avec l’aide ou l’assistance aux étrangers et justifiant d’une expérience dans ce domaine”
(CE 12 octobre 2005, Gisti, Asti d’Orléans et alii, n°27319 ).
En Loire-Atlantique, deux structures étaient habilitées pour domicilier les demandeurs d’asile :
- Aïda : une structure para-étatique, chargée de l’accueil des primo-arrivants. Au cours de l’été 2008, par une décision budgétaire, la préfecture de Loire-Atlantique a limité la capacité d’accueil de Aïda à un quota de 40 demandeurs d’asile.
- Le GASPROM-ASTI de Nantes, association militante et indépendante, affiliée à la FASTI, assurant l’accueil, la domiciliation et une assistance juridique pour les migrants. Le GASPROM disposait depuis quelques années d’un agrément de domiciliation, d’abord provisoire, puis prorogé, puis enfin retiré par une décision du 8 avril 2009.
Ainsi, la préfecture a instauré de facto un quota de demandeurs d’asile sur le département. En effet, dès qu’Aïda dépassait son quota de 40 dossiers, les demandeurs d’asile ne pouvaient plus déposer de demande en Loire-Atlantique, faute de domiciliation.
Clément GOURDAIN est membre du GASPROM
Deux stratégies étaient alors envisageables :
- un demandeur d’asile pouvait, à l’occasion du dépôt de son dossier à la préfecture, former un référé-liberté pour enjoindre le préfet de prendre en charge sa demande en l’absence de domiciliation. Cette voie fut couronnée de succès par une ordonnance n° 087112 rendue par le TA de Nantes le 17 décembre 2008. Toutefois, cette stratégie impliquait de former un recours pour chaque demandeur d’asile, sans attaquer le problème à sa source.
- Attaquer le refus préfectoral d’agréer le GASPROM, par la voie d’un recours en excès de pouvoir couplé d’un référé suspension. Cette seconde voie a permis au juge des référés du TA de Nantes de rendre cette ordonnance, faisant droit aux prétentions du GASPROM.
[CPDH: il aurait aussi été possible de déposer un référé-liberté sur le fondement de l’atteinte grave et manifestement illégal au droit d’asile]
En collaboration avec la commission de droit des étrangers du barreau de Nantes, un recours en excès de pouvoir accompagné d’une demande en référé-suspension a donc été formé devant le TA de Nantes, donnant lieu à cette ordonnance
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L’analyse de la condition d’urgence faite par le juge est particulièrement intéressante. En effet, d’après une jurisprudence constante, la condition d’urgence est remplie dès lors que l’exécution d’un acte « porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, ou à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (CE sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n°228815).
Cet intérêt est apprécié in concreto et le juge des référés met en balance les différents intérêts en présence.
Dès lors, pour que la condition soit remplie, GASPROM devait être prouvée cette atteinte indirecte au droit d’asile- qui constitue l’intérêt qu’elle défend dans ses statuts.
C’est ce qu’a retenu le juge des référés (page 7) :
«le GASPROM exerce, sous couvert de l’agrément qui lui a été délivré le 6 décembre 2004, prorogé le 7 juillet 2005, une mission de domiciliation des demandeurs d’asile ; qu’il n’est pas utilement contesté, d’une part, que si l’association Aïda exerce également une mission de domiciliation , sa capacité est limitée à 40 personnes et, d’autre part, qu’aucune autre association ou structure ne remplit une telle mission dans le département ; que, dans ce contexte, la requérante est fondée à soutenir que le refus d’agrément qui lui a été opposé affecte directement les intérêts qu’elle s’est donnée pour mission de défendre ; qu’elle justifie ainsi de la condition d’urgence exigée par l’article L.521-1 du Code de justice administrative »
D’autre part, l’ordonnance a retenu le caractère fallacieux des motifs avancés par les services préfectoraux pour retirer cet agrément. En effet, parmi ces motifs figurait un nombre important de courriers non retirés par leurs destinataires. En suivant cette interprétation, le GASPROM aurait donc dû forcer les migrants manu militari à retirer leurs courriers…
La décision de refus de renouvellement de l’agrément reposait donc sur des faits matériellement inexacts et une appréciation inexacte de la part du préfet. Cela est de nature à faire naître un doute sérieux sur sa légalité.
Enfin, l’ordonnance fait droit aux conclusions à fin d’injonction et autorise donc le GASPROM à faire usage, à titre provisoire de l’agrément probatoire qui lui avait été initialement accordé.
Cette ordonnance a donc permis aux activités de domiciliation de reprendre au sein du GASPROM, et donc de permettre aux demandeurs d’asile de déposer leur dossier en Loire-Atlantique.
On espère également que cette ordonnance a convaincu les services préfectoraux que leurs attaques contre le droit d’asile, y compris de manière aussi indirecte, ne pourront continuer éternellement.