"lumières, lueurs, aspérités, ravines"
Il faut rappeler que Gisèle de Lestrange fut l’épouse de Paul Celan. Elle s’est
fait connaître notamment par une importante œuvre gravée. Ses œuvres avaient déjà
été montrées à trois reprises à la Galerie Ditesheim de Neuchâtel en 1978, 1984
et 1990, mais pas encore en rapport avec l’œuvre de son mari. La publication de
leur correspondance en 2001 a été un important évènement éditorial* et voici qu’aujourd’hui
paraît également le catalogue raisonné de l’œuvre de Gisèle.
Cette exposition a été rendu possible par la générosité d’Eric Celan, le fils
de Paul et de Gisèle qui a prêté à la galerie des œuvres de sa mère et des
manuscrits de son père.
Sur le plan pratique :
Vernissage le 11 septembre, de 17 à 20 heures. A 18h30, Eric Celan et Bertrand
Badiou liront les extraits de la correspondance Paul Celan-Gisèle
Celan-Lestrange.
L’exposition se tiendra du 12 septembre au 24 octobre, 8, rue du Château, 2000
Neuchâtel (Suisse), tel. 032 724 57 00.
site internet de
la galerie.
Photo, tous droits réservés, deux eaux-fortes de Gisèle Celan-Lestrange, Atemkristall, 1965, planche n° 1 et n° 2
A signaler aussi :
Catalogue raisonné de l’œuvre de Gisèle
Celan-Lestrange, établi par Ute et Klaus Bruckinger, en collaboration avec
Eric Celan et Bertrand Badiou, volume d’environ 400 pages avec 800
reproductions en couleurs et en noir et blanc, bilingue allemand-français, 24 x
30 cm, 115 CHF, Ernst Wachsmut Verlag, Tübingen et Berlin (disponible à la
galerie Ditesheim)
*Je reprends ci-dessous une note de lecture publiée en 2001 sur le site
zazieweb :
Une relation magnifique et tragique, telle fut celle du poète de langue
allemande, Paul Celan, considéré comme un des plus importants de la seconde
moitié du xxesiècle et
de son épouse, Gisèle Celan-Lestrange, elle-même peintre et graveur. Une
relation que cette correspondance, reflète admirablement. La lecture en est
bouleversante : on les suit tous les deux, ainsi que leur fils Eric, au fil des
années, depuis leur rencontre dans les années 50 jusqu'au dénouement, le
suicide de Paul qui s'est jeté dans la Seine, sans doute du pont Mirabeau, en
1970. Vingt ans environ d'une correspondance bien conservée des deux côtés,
riche d'environ sept cents lettres. Ce qui est passionnant dans cet échange,
c'est le croisement des réalités de la vie quotidienne, des recherches
créatrices de l'un et de l'autre, du compte-rendu des rencontres avec toutes
sortes de personnalités du monde des lettres, des arts et de la médecine. Mais
plus que tout, ce qui retient et touche, c'est que ces lettres sont comme le
sismographe de l'état mental de Paul, qui va se détériorer quasiment sous nos
yeux, du combat mutuel des deux époux contre le trouble psychique et finalement
de leur défaite puisque Paul Celan devenant violent au cours de périodes de
délire, Gisèle devra finalement accepter une séparation, non sans continuer à
le soutenir et l'épauler. Parmi les lettres les plus déchirantes, les très
nombreux courriers qu'ils échangent souvent presque quotidiennement dans les
périodes d'hospitalisation psychiatrique, voire d'internement de Paul,
notamment à Saint Anne. Inouï aussi de le voir semer dans ses lettres ses
poèmes si particuliers et si forts, qu'il prend souvent la peine de traduire
mot à mot (rappelons qu'il écrit en allemand) et d'expliquer à sa femme.
Il faut rappeler ici que Paul Celan était né en Bucovine en 1920, qu'il était
juif, que ses parents disparurent en déportation, son père mort du typhus, sa
mère sans doute assassinée ; il fut très profondément atteint par une affaire
de diffamation, teintée d'antisémitisme. Il avait été proche du poète Yvan Goll
et après sa mort, Claire Goll sa femme lui avait confié la traduction en
allemand d'une partie de l'œuvre de son mari. Après plusieurs mois de travail
harmonieux et de bonnes relations avec Claire Goll, la situation se détériora
sans raison apparente, celle-ci refusant les traductions de Paul Celan mais
surtout l'accusant de plagiat urbi et
orbi. Cette affaire devait littéralement miner Paul Celan et on suit
presque au jour le jour ses différentes réactions tant aux articles
diffamatoires qu'aux très nombreux soutiens qu'il reçoit.
Le travail éditorial est admirable et pour une fois l'appareil de notes et de
documents, loin d'alourdir le texte, le rend plus parlant. D'autant plus que le
tout est très bien organisé en deux volumes : dans le premier toutes les
lettres numérotées de 1 à 677, simplement illustrées de quelques gravures de
Gisèle qui faisaient partie de l'échange ; dans le second tome, lettre par
lettre, tous les éléments indispensables à la bonne compréhension du texte (qui
sont les personnes citées ? à quoi correspond telle allusion ? d'où écrivent
l'un et l'autre ?), complétés par une chronologie détaillée. Si bien que lisant
une lettre, on peut à l'aide des notes et de la chronologie facilement
consultables sans tourne de pages ennuyeuse, en comprendre tout le contexte. En
annexe un très beau cahier iconographique, photos, gravures de Gisèle
Celan-Lestrange, fac-similés de manuscrits de lettres, deux index dont un des
noms de personnes.
C'est donc une véritable somme dont la lecture ne laisse pas indemne et il faut
aussi saluer le courage d'Eric Celan, le fils de Paul et Gisèle que l'on voit
grandir sous le regard épistolaire croisé de ses parents : il a accepté de
livrer, si tôt après la disparition de sa mère en 1991, cette somme et il a
concouru à cette admirable présentation éditée et commentée par Bertrand Badiou,
une édition fondamentale qui honore l'édition française et l'éditeur le Seuil.
Florence Trocmé, première publication en 2001 sur le site zazieweb.
Paul Celan, Gisèle Celan-Lestrange, Coffret Correspondance
1951-1970, avec un choix de lettres de Paul Celan à son fils Eric (2
Volumes Sous Coffret ; édité et commente par Bertrand Badiou avec le concours d'Éric
Celan), Le Seuil, 2001, 800 pages, 64, 10 €
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