Les jeux en ligne sont en cause dans cette affaire. Le Portugal a en effet un principe général d'interdiction des jeux de hasard. Par dérogation, le Portugal a donné une concession à Santa Casa , qui est donc la seule entité autorisée, au Portugal, a organisé de tels jeux sur le territoire de ce pays. Or, une société basée à Gibraltar propose, à destination du Portugal des jeux de paris sportifs en ligne, de poker et autres jeux de casino.
Santa Casa a poursuivi cette société qui a été condamnée à des amendes. Celle-ci conteste ces amendes devant les tribunaux portugais qui posent plusieurs questions sur la compatibilité du droit portugais avec l'article 49 CE relatif à la libre prestation de services (Nous renvoyons le lecteur aux points 36 et suivants s'agissant de la contestation de la recevabilité de la question).
Cet arrêt est particulièrement intéressant puisqu'il semble remettre en cause, au passage, un des piliers de la libre prestation de services communautaire...
La Cour retient la qualification d'entrave de la mesure en cause. Cette première conclusion ne peut surprendre, elle a déjà été retenue dans de nombreuses affaires relatifs à l'activité de paris (CJCE, arrêt du 6 novembre 2003,Gambelli e.a., C‑243/01, Rec. p. I‑13031, point 54).
C'est donc sur la justification de la mesure en cause que le raisonnement de la Cour a un intérêt certain. La Cour considère en effet qu'un objectif général de lutte contre la criminalité permet de justifier cette entrave indistinctement applicable à la libre prestation de services.
Elle note ainsi que la règlementation "des jeux de hasard fait partie des domaines dans lesquels des divergences considérables d’ordre moral, religieux et culturel existent entre les États membres. En l’absence d’une harmonisation communautaire en la matière, il appartient à chaque État membre d’apprécier, dans ces domaines, selon sa propre échelle des valeurs, les exigences que comporte la protection des intérêts concernés" (point 57).Une large marge de manœuvre doit donc être reconnue aux Etats membres. Une large variété de législations doit également être acceptée et découle nécessairement de cette marge de manœuvre (point 58).
59 Les États membres sont par conséquent libres de fixer les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard et, le cas échéant, de définir avec précision le niveau de protection recherché. Toutefois, les restrictions qu’ils imposent doivent satisfaire aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité (arrêt Placanica e.a., précité, point 48).
60 Par conséquent, il convient d’examiner en l’espèce notamment si la restriction de l’offre des jeux de hasard par l’Internet imposée par la législation nationale en cause au principal est propre à garantir la réalisation d’un ou de plusieurs objectifs invoqués par l’État membre concerné et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. En tout état de cause, ces restrictions doivent être appliquées de manière non discriminatoire (voir, en ce sens, arrêt Placanica e.a., précité, point 49).
Le Portugal fait valoir à cet égard que "l’octroi de droits exclusifs pour l’organisation de jeux de hasard à Santa Casa permet de garantir le fonctionnement d’un système contrôlé et sûr. D’une part, la longue existence de Santa Casa, qui s’étend sur plus de cinq siècles, démontrerait la fiabilité de cet organisme. D’autre part, ce gouvernement souligne que Santa Casa fonctionne dans la stricte dépendance de ce dernier. L’encadrement juridique des jeux de hasard, les statuts de Santa Casa et l’implication du gouvernement dans la nomination des membres des organes administratifs de celle-ci permettraient à l’État d’exercer un pouvoir de tutelle effectif sur Santa Casa. Ce régime légal et statutaire donnerait suffisamment de garanties à l’État quant au respect des règles visant à sauvegarder l’honnêteté des jeux de hasard organisés par Santa Casa" (point 65).
La Cour considère dès lors que cette législation est "apte à protéger les consommateurs contre des fraudes commises par des opérateurs" (point 67). Elle est également nécessaire afin d'assurer un contrôle efficace.De manière très étonnante au vu de la jurisprudence "classique" de la Cour, celle-ci considère notamment que ce secteur ne faisant pas l’objet d’une harmonisation communautaire, "un État membre est en droit de considérer que le seul fait qu’un opérateur tel que Bwin propose légalement des services relevant de ce secteur par l’Internet dans un autre État membre, où il est établi et où il est en principe déjà soumis à des conditions légales et à des contrôles de la part des autorités compétentes de ce dernier État, ne saurait être considéré comme une garantie suffisante de protection des consommateurs nationaux contre les risques de fraude et de criminalité, eu égard aux difficultés susceptibles d’être rencontrées, dans un tel contexte, par les autorités de l’État membre d’établissement pour évaluer les qualités et la probité professionnelles des opérateurs" (point 69).
On peut se demander à quel point cet attendu ne remet pas en cause la philosophie sous-jacente de la Cour, à savoir celle de la prise en compte des obligations auxquelles sont soumises les sociétés dans leur état d'établissement. En matière de paris en ligne, il semble que le principe du pays d'orgine est ici remis en cause au profit d'un principe du pays de destination. Une approche plus orthodoxe n'aurait-elle pas été de demander au juge nationale de faire cet exercice de vérification concret? Il faut également noter que cette conclusion ne sera pas remise en cause par la prochaine entrée en vigueur de la directive services (le 28 décembre), celle-ci excluant les jeux et paris de son champ d'application.
En conclusion, la Cour considère que l’article 49 CE ne s’oppose pas à une règlementation d’un État membre qui interdit à des opérateurs établis dans d’autres États membres, où ils fournissent légalement des services analogues, de proposer des jeux de hasard par l’Internet sur le territoire dudit État membre.