Avant même l'arrivée de la nymphe Mylène Farmer, tout ce qui agace ses détracteurs figure dans le décor. Une scène gigantesque orne le stade froid de Genève, bordé par l'autoroute, et sur lequel la pluie est tombée toute la journée. La chanteuse s'est fait attendre. Un an que ses fans se sont procurés leur précieux sésame, ayant fait saturer les billetteries virtuelles. Le stade se remplit, cathédrale à ciel ouvert, et Mylène Farmer, vamp irrésistible, poupée au sourire figé, attend la nuit pour paraître. Bien du temps a passé, une heure de plus que celle indiquée sur les billets roses. Mais les adeptes n'ont pas leur mot à dire. Nous sommes en avance, elle arrive à point.
Pleine de grâce
Je vous salue, Mylène. Par les cris, les larmes, la foule gronde de son fanatisme incontrôlable. Et soudain il n'y a qu'elle. Vos fans sont
On se rappelle les images symboliquement très chrétiennes de ses derniers concerts en 2006, allant des nombreux crucifix à ce rouge sang omniprésent. Mylène - soyons intimes - entrait en scène les paupières closes, couchée dans un sarcophage de verre et d'or, comme une Blanche-Neige diaphane dans son cercueil. Descendant du ciel, Mylène Farmer renaissait. Cette fois-ci, en guise d'entrée triomphale, Farmer est emprisonnée dans un squelette d'argent. Une fois ce dernier ouvert, elle apparaît dans un costume d'écorchée vive, exhibant ses entrailles. A cœur ouvert, en somme. Elle chante alors un Paradis inanimé. Est-ce donc l'heure de notre mort ? Vous nous perdez déjà, Marie-Mylène, dans votre étrange mystique. A l'importe-pièce, disent les contempteurs. Nous, on veut encore y croire.
Muse ou égérie ?
Si Mylène Farmer est souriante, heureuse de communier avec son public qui récite ses chants par cœur, comme des fidèles le feraient, leur psautier à la main, la mort rôde, plane sur la scène.
Au centre de cette fascination morbide, un seul espoir : l'amour. Seul son Orphée pourra tirer cette rousse Eurydice des enfers. Mais c'est à pile-ou face car, vue de dos, comme elle le chante dans Pourvu qu'elles soient douces, Mylène Farmer a le visage de la mort, sculpté dans sa coiffure soyeuse, par ailleurs piquée de crucifix.
Qui gagnera ? La mort ou l'amour ? En noir et blanc, un échiquier s'anime sur l'écran géant. On pense au Septième sceau, de Bergman, et l'issue du film nous revient, qui donnait la Mort gagnante.
Mais, pour l'heure, la douce diablesse semble prête à défier les enfers. En nuisette de soie rouge, aussi sexy qu'un ciel de Californie, la chanteuse a le sang chaud. Appelle mon numéro, clame-t-elle, insouciante.
Dégénération
Mais voilà... La reine ne tiendra pas la distance. Malgré sa splendeur, malgré cette somptueuse robe aussi blanche que celles de son inspiratrice Emily Dickinson, à laquelle elle a emprunté bien des vers, Mylène s'essouffle, trébuche. Un voile (de fumée ?) s'est posé sur cette voix qui, autrefois, parvenait à escalader les aigus cristallins d'Ainsi soit je. Reine déchue ? Surtout pas ! Malgré ses faiblesses, Mylène est soutenue par ses disciples. Mais l'idole, elle, semble toutefois bien lucide. Prémices d'une Dégénération...
Humblement, la belle de nuit se retire, saluant son public du haut de son escalier, le cou caché dans une grande écharpe noire, comme pour protéger les derniers éclats de sa voix du froid de l'oubli. Sous la pleine lune, l'oiseau s'envole. Et, enivré par sa beauté, on est, en même temps, effrayé de voir la pureté de sa voix s'éteindre. Et si Mylène ne revenait pas ? A chaque fois qu'elle regagne l'ombre, l'incertitude de son retour, c'est de sa faute, résonne toujours avec la mort.
La nuit sera bien longue...