Samedi je me promenais dans les Jardins du Luxembourg à Paris quand mon attention fut attirée par des éclats de voix lointains. La première fois je n'y ai pas fait attention plus que cela, mais ils se sont répétés comme une houle sonore, alors je me suis laissé guider par ces vociférations qui néanmoins semblaient joyeuses. Et je suis tombé sur une bande de gais lurons qui riaient aux éclats. D'habitude à cet endroit des jardins le samedi, ce sont de silencieux adeptes du tai-chi, gymnastique chinoise, qui s'adonnent à leur art fait de gestes gracieux déliant le corps pour délivrer l'esprit. Aujourd'hui une nuée de zébulons guidés par un « maître », se livraient à des exercices physiques accompagnés de rires forcés. Je compris que j'étais tombé sur un groupe de relaxation par le rire. Un de ces nouveaux concepts qui remplissent chaque mois les pages des journaux féminins comme étant la source du bonheur, la méthode ultime du bien être retrouvé, la solution à tous vos problèmes de stress.
Il est vrai qu'une étude aurait démontré qu'on ne riait plus que 5mn par jour alors qu'il y a cent ans on riait 30mn. Inutile de dire que ce genre de conclusion ne pouvait qu'inciter coaches et gurus en tous genres à sauter sur l'occasion avant de sauter sur votre porte-monnaie pour vous vendre des méthodes infaillibles qui vous débloqueraient le boyau de la rigolade.
A regarder ces braves gens s'agiter et exercer leur zygomatique sous les directives de leur professeur, je me suis demandé dans quel genre de monde nous vivions désormais ; un monde où il faut apprendre à rire aujourd'hui, un monde où il faudra apprendre à respirer demain ?
Quand je me suis éloigné, ils continuaient à s'esclaffer et moi aussi d'ailleurs, mais riions nous pour les mêmes raisons, rien n'est moins sûr.