Dans quelques jours Obama participera aux cérémonies du 8° anniversaire du 11 septembre. On peut parier sans grand risque que deux sujets vont être passionnément discutés dans ce contexte, aux USA au moins : la stratégie censée remplacer feu "la guerre globale contre le terrorisme" et sa manifestation la plus actuelle : la guerre en Afghanistan qui est en train de devenir un conflit américano-pachtoun gagné par les seconds. En huit ans, le problème de ce que certains décrivaient comme la question n°1 du nouveau siècle, la lutte contre un hyperterrorisme mondialisé est essentiellement devenue celle du contrôle d'un territoire réputé particulièrement rebelle à toute tentative de pacification et ce depuis quelques siècles.
Après le 11 septembre l'administration Bush avait fait de la Global War on Terror la priorité absolue de sa politique. Largement inspirée par les néo-conservateurs, elle reposait
- sur le dogme d'une guerre illimitée - voir d'une quatrième guerre mondiale - contre un ennemi principal (que l'on éprouvait de curieuses difficultés à désigner : le terrorisme, le jihadisme, l'islamisme, al Qaida...), polarisant tout le jeu des conflits et des alliances,
- sur l'ambition messianique de "démocratiser" la planète, en commençant par le monde musulman, dans la vieille idée de faire du monde "a safer place for USA", un endroit plus sur pour les États-Unis
- sur une mobilisation de l'opinion américaine redécouvrant ses anciennes vertus pour faire face à un danger sans précédent. Ce dont ladite opinion est de moins en moins convaincue comme des deux points précédents.
Cette guerre comportait, très logiquement trois volets :
- une composante sécuritaire à base de surveillance, prévention et répression : le Patriot Act, la chasse aux terroristes partout dans le monde, l'état d'alerte permanent, le développement du renseignement y compris dans sa composante humaine trop négligée auparavant... Cette stratégie a produit un "bénéfice" en terme de nombre d'arrestations, de chefs jihadistes tués, d'attentats empêchés, au prix d'un coût en termes d'image (donc d'anti-américanisme, donc de recrutement de nouveaux combattants pour remplacer ceux que l'on éliminait) : Guantanamo, Abou Graibh, la torture, les écoutes, les atteintes aux libertés publiques, le fichage, et autres dérives... En dehors même de toute question morale sur ce qu'une démocratie doit s'autoriser à faire contre des ennemis non démocratiques, on peut cyniquement poser la question de la rentabilité de cette politique. Dans tous les cas, huit ans après, il faut constater ce paradoxe : il continue, bon an mal an, à y avoir un taux de létalité important attribué (à tort ou à raison) au réseau al Qaïda à travers le monde. Parmi ces attentats certains peuvent avoir un grand impact politique (comme celui de Mumbai en novembre 2008, le "11 septembre indien"), mais la lutte antiterroriste est plutôt devenue une routine que l'objectif prioritaire du concert des nations.
- une composante militaire/stratégique/diplomatique qui consistait à occuper le territoire de l'adversaire (Afghanistan, Irak) pour détruire les États terroristes ou pour le moins à exercer une contrainte et une menace sur ceux que l'on ne peut renverser pour le moment : Syrie, Iran, Corée. Parallèlement, il s'agissait de répandre un "tsunami démocratique" pour implanter dans toute la région ( par exemple, le Liban) des régimes modérés et amis. Et qui dans tous les cas, n'abritent plus ni d'armes de terreur, ni d'organisations de terreur.
- une "guerre pour les cœurs et les esprits" gérée des organisations d'État (sous-secrétariat d'État à la diplomatie publique, agences chargées de mission d'influence) relayées par des médias comme al Hurrah ou des organismes privés (think tanks, ONG). Le tout dans une logique d'affrontement idéologique élaborée en temps de Guerre Froide : utilisation de l'arme de l'information pour révéler la "vraie nature" du conflit (donc diaboliser l'adversaire et rassurer le monde arabo-musulman sur les intentions et la nature des USA), et propager ses valeurs considérées comme universelles.
La nouvelle administration est bien consciente des effets contre-productifs de la politique précédente, et si elle joue au maximum de l'effet de contraste, soutenu par le charisme d'Obama.
Elle en est maintenant au stade où, après en avoir corrigé les erreurs les plus flagrantes ou les plus impopulaires et multiplié les effets d'annonce, elle doit mener une véritable stratégie.
- Renoncer à la phraséologie sur la "Guerre globale au terrorisme", annoncer la fermeture de Guantanamo (même si l'on ne sait pas vraiment quoi faire des prisonniers), réformer les méthodes d'interrogatoire, affirmer haut et fort des principes démocratiques, prononcer un discours très consensuel et très "halte à la guerre des civilisations" au Caire : rien que de très logique dans tout cela.
- Poursuivre un retrait d'Irak entamé par l'administration précédente et refiler le mistrigri au gouvernement local, charge pour lui de s'arranger avec le milices que les USA ont eux-mêmes armées pour lutter contre les jhadistes sunnites : c'était également assez prévisible.
- Prendre acte que la mythification d'al Qaïda ne fonctionne plus guère huit ans et quelques autres crises plus tard : cela, c'est évident. En tout cas, l'Univers ne vit plus dans l'attente d'un "second onze septembre". Et ne parlons pas de ce phénomène planétaire et inédit de scepticisme de masse : des millions de gens ne croient pas à la "version officielle" de ce onze septembre, certains même pas à images de l'événement le plus filmé de l'histoire de l'humanité. Même dans l'entourage d'Obama, il se trouve des "truthers" qui réclament "la vérité sur le 11 septembre" tel le conseiller à l'environnement van Jones, contraint à la démission par les protestations des républicains.
Reste le cœur de la stratégie d'Obama. Rendre l'indispensable volet répressif plus acceptable ou envoyer des messages rassurants n'a de sens que si l'armée américaine est capable de résoudre le problème auquel elle se heurte depuis huit ans : transformer la conquête en contrôle. Et trouver des stratégies de sortie.
L'idée de la nouvelle administration semblait se résumer ainsi :
- En Irak, retirer un maximum de troupes en espérant que le chaos et les conflits communautaires ne gagneraient pas trop vite. À noter qu'il faut relativiser la notion d'un Irak en voie de pacification : depuis le 30 juin, date officielle du retrait des troupes US sur quelques zones, les attentats ont encore tué 725 civils afghans.
- Obtenir une action plus ferme du gouvernement pakistanais contre ses talibans (et les jihadistes d'al Qaïda qu'ils abritent), ce qui semble hors de portée de l'actuel gouvernement à supposer qu'il en ait la volonté ou la préoccupation.
- Mettre la priorité sur l'Afghanistan à la fois pour arrêter le recul de l'Otan, pour assurer suffisamment les autorités locales pour qu'elles puissent "afghaniser" la guerre, quitte à accepter un négociation avec des talibans "modérés" ou pousser quelques coins entre les "locaux" et les jihadistes "internationaux".
Or cette stratégie, peut-être la seule possible, brillante sur le papier se heurte à des difficultés évidentes :
- l'inadaptation des troupes de l'Otan à un conflit de ce type. Et sur le plan strictement militaire, et sur celui de l'opinion (avec des erreurs comme la bavure qui a coûté la vie à un nombre indéterminé de civils afghans), cette armée censée représenter les pays les plus avancés du monde est en train de se faire battre comme l'Armée Rouge.
- Les Européens sont impatients - plus que leurs alliés US, ce qui peut être une source supplémentaire de tensions - de repasser la charge de la guerre aux locaux et d'en finir avec des pertes de plus en plus mal acceptées par leur population (le trente et unième soldat français a été tué cette semaine). Encore faut-il pourvoir compter sur un gouvernement local légitime et fiable. Invoquer la trilogie rituelle - sécurité, développement et bonne gouvernance - semble de plus en plus ressortir à la pensée magique.
De ce point de vue, le gouvernement Karzaï ne présente que des inconvénients Outre les reproches que l'on peut lui faire en termes de corruption ou d'efficacité (pour combattre le terrorisme ou reconstruire un État remplissant au minimum son rôle) voici maintenant son élection entachée de soupçon. Il est amusant de voir la façon très différente dont les médias accueillent la nouvelle que 800 bureaux de vote afghans étaient fantômes ou les chiffres aberrants de certaines provinces à la conviction qu'ils ont immédiatement acquise que l'élection iranienne était scandaleusement truquée. Il est vrai que les opposants afghans n'ont pas créé de réseaux protestataires sur Twitter. Il serait également cruel de comparer aux commentaires sur les élections centre-africaines.
Par ailleurs, une certaine tension est sensible entre Karzaï et ses alliés américains, notamment depuis la visite de Holbrooke. D'autant que le président afghan peut être tenté de démontrer - comme il le déclare au Figaro - qu'il n'est pas la marionnette des USA.
Ce ne sont pas là des problèmes que peut résoudre un nouveau contingent de GI's même fermement décidés à respecter les droits de l'homme et à aider les populations.
De l'objectif de traquer une poignée d'assassins dans leurs grottes (que l'on disait d'ailleurs bourrées d'électronique) on est passé à un objectif de "nation building" sans réelle stratégie de sortie.
Source du texte : HUYGUE.FR