Magazine Culture
On aimait beaucoup WC3 parce qu’intuitivement on sentait bien que c’était un groupe qui ne tricherait jamais, loin du post-punk rennais à saxophone (la clique raide de Marquis De Sade) loin des chemises rouges et des simulacres stoogiens en ouverture de Talking Heads (les mignons Taxi Girl), loin aussi de la brume anglaise et de ses vagues sombres (Joy Division et tutti quanti...) On aimait beaucoup WC3 parce que c’était un groupe puissant et sincère, drôle et sanglant, qu’il ne ressemblait à rien si ce n’est à lui-même et que, par exemple, son chanteur paraissait davantage préoccupé par ses tripes que par la pâtisserie viennoise ou la grande Europe. On aimait aussi beaucoup et surtout WC3 parce qu’il y avait Janine… Janine pieds nus sur la pochette ratée de leur premier disque réussi, une jeune Juliette Binoche en mieux. Janine et ses claviers qui étaient là, partout, un ciment merveilleux que ces claviers là, Janine le Dave Greenfield du Nord , le Ray Manzarek de St Quentin ( Aisne). On aimait WC3 et puis Janine est morte, suicidée un soir… backstage. On est resté un peu con, on était un peu amoureux d’elle sans même la connaître. Les strates du temps sont passées par-là, posées en fines lamelles, on a oublié Janine et WC3… Jusqu’à ce que …
Tiens l’autre jour, je déplaçais une pile de 33 tours et à travers le petit nuage de poussière inévitablement engendré par le déplacement, j’ai vu dépasser un coin de pochette: Moderne Musique par WC3 ! Intrigué, j’ai donc tiré la pochette, je l’ai même extirpé péniblement car elle était quasi collée entre un Greatest Hits de Roy Orbison et le Get Happy du binoclard Declan MacManus. L’opération achevée (l’extraction menée) je me suis alors retrouvé avec un disque en moins dans la pile de 33 tours mais avec entre les mains une pochette que j’ai toujours trouvée très à mon goût bien qu’elle soit plus moche que le gibbeux du coin... Ah ! oui, glissé dans le fourreau de cette pochette moche, il y avait encore un poster… et même, voyez-vous, un disque… un disque que j’avais beaucoup aimé en son temps, le disque de WC3… Estimant la chose possible, tenant 33 centimètres de celluloïd dans une main et mon courage dans l’autre, j’ai alors pris la ferme décision de réécouter tout ça et je me suis dirigé vers mon presque teppaz… Alors ?
Alors, il n’y a pas de déception à avoir, c’est toujours aussi bien, puissant et humble… Breakdown : « ce son d’enfer au sourire narquois » ce Bal des Lazes qui vire London Calling ; une merveille rêche, tendue et viscérale. Le reste pareil ou presque : ces claviers constamment judicieux, cette fatale cavalcade ferroviaire : Orient Express, ce spleen adolescent qui ne vire pas au mièvre : Mort et vainqueur, Derniers baisers du vautour … Ecoutez ce disque, il a toujours de la personnalité et il frémit encore. Ecoutez aussi les autres : WC3-1978-1980, une compilation raide-punk sur les débuts punk-raides du groupe, écoutez aussi et surtout La Machine Infernale, un disque très sournois, un son inquiétant comme si le tout tourbillonnait dans un lave-linge noyé par le sang coagulé, un climat problématique et plus lynchien que tous les lapins écorchés en lévitation du monde. Bref un disque intriguant , tellement intriguant qu’il est introuvable… Quoique…