Cet après-midi, de retour d’un séjour – trop court – à La Grande Motte (vous pouvez voir des photos en devenant mon ami sur Facebook …), j’ai repensé à un morceau de Chopin que j’aime beaucoup : le prélude n°4 de l’opus 28.
(j’ai mis 10 ans à en trouver une version acceptable sur Youtube … celle-ci se rapproche le plus de la vision que j’en ai … et en plus, c’est Richter, qui sait de quoi il “parle” …).
A ce stade, certains doivent se dire “oh non, il va nous saoûler avec sa musique classique que personne comprend …
A cette objection, je me vois dans l’obligation de répondre non pas par la mépris ni par les claques (car vous êtes trop loin et puis on sait jamais sur qui on va tomber, hein …), mais par le léger énervement contre des générations de snobisation de la musique classique et du jazz … C’est pas bien et pis c’est tout.
Alors que la musique classique, c’est très bien, pour peu que l’on fasse l’effort de s’y intéresser.
Le prélude n°4, donc.
Il y a quelques années, quand je prenais des cours de piano (qui ont duré à peu près 5 mois, parce que le prof me faisait … trop confiance, je dirais …), j’avais entrepris de jouer ce prélude, qui fait sans aucun doute possible partie des 2 ou 3 plus belles merveilles écrites pour ce merveilleux instrument qu’est le piano.
J’aimerais beaucoup pouvoir être capable d’exprimer ce que je ressens en écoutant ou en jouant cette oeuvre … peut être cela paraitra-t-il prétentieux, mais je sais ce que Chopin ressentait lorsqu’il a écrit ce morceau …
Il s’agit, pour moi, de la plus belle évocation de la souffrance, parce que c’est la plus sensible et la plus pudique.
Il me semble que Chopin dit, à travers ce morceau “voudriez-vous me faire le bonheur de comprendre ma souffrance ?…”
J’ai employé à dessein une expression très alambiquée, car il est une constante chez les musiciens qui tentent d’exprimer leurs sentiments par les sons : il est beaucoup plus facile de laisser parler la musique plutôt que d’essayer de parler pour elle (aucun mot n’est capable de faire ça de toutes façons …)
D’où une tendance certaine à ne pas dire clairement les choses ou à les masquer derrière cette affreuse figure de style nommée la litote…je parle bien entendu en connaissance de cause.
Si j’arrive à jouer cette musique relativement bien (mes lacunes techniques et ma désespérante immaturité m’empêchent pour l’instant d’éviter le caractère relatif de cette phrase …), c’est parce que je ressens exactement ce que son auteur ressentait au moment de l’écrire.
Il parait que l’on appelle ça le zal en polonais. C’est difficile à traduire, ça correspond à une forme de mélancolie très … digne, je dirais. Celle que l’on ne peut exprimer par des plaintes ou des jérémiades (je devrais devenir polonais, tiens …).
Au moment où je jouais ce prélude, je lisais une biographie de Chopin … car j’ai le vilain défaut de vouloir tout connaître sur la musique … notamment celle que j’aime et que j’essaie de jouer .
Chopin par Delacroix
En lisant cette biographie, j’avais l’impression de lire ma vie : le petit garçon très doué pour la musique (ce n’est pas moi qui le dit, mais mes profs…j’ai plutôt tendance à penser qu’ils exagèrent…quoi que ….), le jeune garçon qui préfère aimer secrètement sa belle princesse plutôt que de lui avouer ses sentiments (c’est tellement plus romantique …) …
Depuis, j’ai arrêté l’alcool et la drogue, ce qui a eu pour conséquence d’arrêter de penser des conneries mégalomanes comme celles qui précèdent.
J’ai donné un titre très racoleur à cette note … mais qui ne l’est pas tant que ça, parce que je pense vraiment que la musique a un pouvoir extraordinaire d’ouverture, pour celui qui sait l’écouter.
La musique ne se comprend pas d’une façon intellectuelle, mais purement sensorielle.
Celui qui ne ressent pas la musique ne la comprend pas. C’est la raison pour laquelle la musique instrumentale a, pour moi, une valeur supérieure aux chansons, parce qu’il n’y a pas de paroles pour cacher la misère de l’expression musicale … D’un autre côté, c’est un bien pour certains que les paroles existent, sinon des gens comme Benabar, Delerm et toute cette clique formerait un magnifique bataillon de … je sais pas quoi, mais certainement pas de musiciens.
Lorsque vous composez de la musique instrumentale, vous n’avez rien pour masquer quoi que ce soit : tout est là.
Et tout le jeu réside dans la difficulté de construire un véritable discours, de faire en sorte que la musique parle.
Et dans ce prélude n°4, Chopin y parvient magistralement : tout est dans la finesse, la délicatesse … Et lorsque vous jouez ce morceau, qui n’est pas techniquement le plus difficile, vous ressentez, à chaque note que vous pressez, toute la charge émotionnelle qui a été mise par Chopin dans chacune des notes. Et si vous passez à côté, vous n’avez rien compris à cette musique.
Chacune des notes doit briller. Mais pas à la manière d’un soleil, plutôt à celles d’étoiles qui s’éteignent doucement. Ou comme des perles de nacre, qu’il faut manipuler avec le plus grand soin …
J’ai une vison très imagée de la musique. Par exemple, je vous le deuxième mouvement de la Septième Symphonie de Beethoven comme un véritable monstre, déplaçant des montagnes de sentiments et d’émotions (de souffrance aussi …), comme personne avant ni après.
Pour ce prélude de Chopin, c’est plutôt une extrême finesse dans l’expression : Chopin prend des précautions infinies pour exprimer une douleur et une sensibilité extraordinairement profondes. Et les silences entre les notes, les espaces dégagés par ces silences sont particulièrement expressifs : la vie est là-dedans.
Si vous parvenez à ressentir cela, vous aurez alors accès à des parties de vous que la peur vous a contraint à enfouir au plus profond de vous-même, sous des couches et des couches de je ne sais quoi, que vous vouliez protectrices, mais qui se révèlent être totalement destructrices et étouffantes. Et qui vous donnent ce sentiment de regret, de nostalgie ou de perte de quelque chose que vous tentez désespérément de nommer …
Non, je n’ai rien pris … j’ai juste écouté Chopin en écrivant cette note …
Mais, je ne suis pas le seul à kiffer Chopin, puisqu’un groupe traditionnel de folkore de Saint Denis (93), l’a aussi adapté …
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