"Inspiration - Jean Honoré" - Fragonard
Cet article est le deuxième de ma série consacrée à la composition d’une chanson. Vous pouvez trouver le premier article en cliquant ici.
Ce deuxième article traitera de la naissance de l’idée musicale.
L’idée est la base de tout … Si vous n’avez pas d’idée, vous pourrez certainement faire une très longue carrière au Parti Socialiste, mais vous autre beaucoup de mal à faire de la musique …
Pierre Boulez, qui est un peu le plus grand musicien du monde (si si … regardez n’importe lequel des DVD dans lesquels il explique la musique et vous comprendrez), dans son livre “ Leçons de musique“, dit qu’ “une idée en soi, musicalement, n’existe pas ; elle est réaction à ce qui nous entoure culturellement“.
J’ai mis un lien vers ce livre, absolument génial, qui est cependant un peu touffu … Si vous avez néanmoins envie de voir ce qu’un très grand musicien dit de la musique, vous pouvez commencer par Penser la musique aujourd’hui, qui est plus accessible.
Je suis totalement d’accord avec ce que dit Boulez sur l’idée musicale : elle existe en réaction à quelque chose. Lui dit que c’est en réaction à ce qui nous entoure, je me permettrai de compléter en disant que c’est la nature et la qualité de notre réaction qui fait la qualité de l’idée.
La musique est un art éminemment sensoriel : elle est l’expression d’un sentiment, qu’il soit physique ou psychologique, mais elle est toujours liée inextricablement à quelque chose de profondément sensoriel.
Elle “parle” d’ailleurs à diverses parties du corps, selon le type de musique jouée. Par exemple, les rythmiques de funk (les légendaires duo basse/batterie) parlent au bas du corps … et si un jour vous avez la chance (comme moi…) de voir George Clinton et toute la galaxie P-Funk en concert, vous comprendrez ce que je veux dire …
En revanche, si vous écoutez le merveilleux premier mouvement de la 40e symphonie de Mozart, qui est certainement l’un des musiques les plus fines et les plus sensibles jamais composées, ça ne parle pas vraiment au bas du ventre …
Une excellent analyse de cette symphonie se trouve ici et là. N’ayant pas le même bagage théorique que le sieur Baweur, je me contenterais de vous donner mes modestes impressions sur cette musique : toute la finesse de Mozart est dans ce morceau. Les premières secondes font immédiatement sentir le tragique qui se dissimule derrière cette musique. Mais comme d’habitude chez Mozart, c’est exprimé d’une manière très … féminine, c’est-à-dire pleine de sensibilité, de délicatesse et avec une simplicité désarmante …
Je parlais donc de l’idée musicale …
Comment nait une idée ? Existe-t-il un moyen pour la “stimuler”, pour la susciter ?
Si je le savais … Lorsque je décide que je vais écrire telle sorte de musique, invariablement, j’aboutis à l’inverse …
Par exemple, un jour, lorsque je faisais partie d’un très dangereux groupe de rap, on avait décidé qu’on allait faire un morceau très hardcore … Pour ceux qui connaissent pas le rap, hardcore signifie qu’on va dire des choses très méchantes et qu’on va grave dénoncer mais comme on est dangereux et méchant, on s’en fout.
J’étais donc parti pour faire un instrumental très lourd, très sombre … et eux voulaient écrire des paroles très dures, tristes et revendicatrices …
Et finalement, on a fait une chanson qui s’appelle “Le Beat Rose“, que vous pouvez écouter sur ce MySpace…
Comme vous pouvez le constater, c’est totalement conforme à notre intention de départ.
Je crois que la musique permet d’extérioriser (et finalement de découvrir) notre état intérieur du moment.
Mais comment avoir des idées ??? … me direz-vous, après avoir constaté que je tourne autour du pot et que je ne dis toujours rien là-dessus …
C’est parce qu’il n’y a pas de méthode universelle … tout dépend du contexte, de l’humeur, de l’instrument avec lequel on veut composer (ou de l’absence d’instrument), du caca fait ou pas …
Il y a quelques petits trucs, quand même …
Par exemple, j’utilise un jeu de cartes un peu particulier, créé par Brian Eno, les Stratégies Obliques.
Schématiquement, il s’agit d’une série de cartes qui donnent des instructions … très particulières (“examine avec attention les détails les plus embarrassants et amplifie-les” … “humanise quelque chose dénué d’erreur” … ou encore “permets-toi un seul soulagement” …), l’idée étant de les utiliser en situation de blocage et “d’appliquer” le conseil … qui est en général tellement inattendu, qu’il permet d’envisager des options auxquelles on n’aurait jamais pensé …
Ou, lorsque vous avez la chance d’être l’heureux possesseur d’une iPhone (oui, je féminise le mot, allez voir ici pour l’explication …), vous pouvez télécharger des petites applications musicales plus ou moins performantes, qui permettent, à défaut de composer une musique complète, de noter des idées. J’en ai 4, 2 pour me la jouer et 2 pour faire réellement de la musique …
Vous pouvez également susciter une idée en jouant n’importe quoi. Par exemple, si vous êtes une femme, que vous vous prenez pour Frank Sinatra, que vous souffrez (ou du moins que vous prétendez souffrir), que vous avez un fils dont le prénom commence par la cinquième lettre de l’alphabet et qui est du meilleur signe de la terre (dominateurs, race des vainqueurs, j’ai pas eu mon quatre heures, etc …), et que, par le plus grand des hasards, vous avez une guitare, vous pouvez jouer des accords. Et vous pouvez chanter n’importe laquelle des cordes … Polnareff a composé “la poupée qui fait non” comme ça : il a joué les trois accords les plus faciles, ceux que l’on apprend en premier (mi, la et ré) et … tu joues les accords, tu chantes la note de la 2e corde en partant du bas … et tu as écrit “la poupée qui fait non” … Magique, non ???
Dans le même ordre d’idée, plusieurs autres exemples (je sais, c’est un peu long avec les vidéos, mais il faut ce qu’il faut…).
Vous pouvez faire un refrain où vous vous contentez de chanter la basse … comme dans “Another one bites the dust” de Queen …
Ou alors, vous chantez toujours la même note et vous changez juste à la toute dernière syllabe du dernier mot du refrain, comme Toto avec “Africa” (excellent morceau, soit dit en passant) …
Ou John Lennon avec “Help“, “All you need is love” ou “Julia” … ce n’est pas la mélodie qui bouge, ce sont les accords qui sont joués derrière qui donnent le mouvement de la musique.
Je vous l’accorde, il fait un peu plus de variations … Mais le début de la mélodie du couplet est une note tenue avec les accords qui tournent autour.
Ligne mélodique complètement statique sur le refrain, avec 3 accords qui la font en quelque sorte varier.
Là encore, une ligne mélodique, pour le couplet, qui ne bouge pas, contrairement aux accords.
J’aurais pu vous rajouter “I am the walrus”, “Strawberry Fields Forever” ou “I’m only sleeping” (mais ça aurait VRAIMENT fait trop de vidéos …), dans lesquels John Lennon utilise encore cette technique, probablement parce qu’il a un sens mélodique moins immédiat que celui de Paul McCartney … mais les résultats n’en sont pas moins extraordinaires, parce que Lennon exprime énormément de choses en une seule note (sa solitude avec “Help“, l’amour avec “All you need is love” et une chanson d’amour pour sa maman avec “Julia“) et qu’il sait comment faire “bouger” une note …
A propos de “Help“, cette chanson illustre mon propos précédent sur le caractère “révélateur” de la musique.
Elle a été composée à la toute dernière minute parce qu’il en manquait une pour le film du même nom que les Beatles ont tourné en 1965 … Et Lennon a composé “Help” à la vitesse du son … et lorsqu’il a entendu le résultat, il a été très surpris, parce qu’il ne pensait pas qu’il se sentait aussi seul … C’est la musique qui le lui a révélé …
Je ne peux pas vous expliquer comment je transforme un sentiment en musique. Au moment où j’écris, je peux ressentir l’impossibilité de l’expliquer, parce qu’il s’agit purement d’un ressenti … Je suis pris par une très forte émotion, qui, chez moi, se convertit quasi-instantanément en quelque chose de musical, parce que je ne sais pas l’exprimer par des mots.
Lorsque je compose, c’est l’un des très rares moments de ma vie où je suis TOTALEMENT sûr de moi et de ce que je fais, parce qu’il ne s’agit pas de technique, mais de la “simple” transcription d’une émotion en langage musical. Je SAIS qu’avec telle suite d’accords, je DOIS chanter telle mélodie, ou du moins aller dans telle direction. C’est comme si quelque chose en moi me soufflait ce que je dois jouer. Et dans ces moments, je ressens une impression de fluidité, d’harmonie et d’évidence que je ne trouve nulle part ailleurs.
L’idée musicale n’est pas une idée comme les autres. Elle est l’expression de l’indicible, de ce que le musicien a au fond de lui, ce regret de quelque chose dont il n’a que l’intuition et que seule la musique peut approcher.
La vie d’un musicien se comprend par sa musique, parce qu’il ne peut plus rien cacher avec elle.
Et il n’est pas dans ses mots, il est tout entier dans sa musique.
Cette note est encore plus longue que la précédente … Va falloir que je me modère un peu. La prochaine fois, je vous parlerai des éléments essentiels d’une chanson …
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