Visualisation pour grand voyage

Par Ressol


Journal d’une impatiente, le 24/01/06

 

En Janvier 2006, hospitalisée à Saint-Ouen-l’Aumône, commune de la ville de Cergy-Pontoise (Val d’Oise), je dois me rendre en ambulance couchée à Berck-sur-mer (soit 500 km aller/retour) pour une visite de contrôle effectuée par mon chirurgien, afin d’examiner si mes greffes ont « pris » et si je peux enfin avoir le droit de m’asseoir. Un véritable parcours de combattant : la position sur le dos avec mes 42 vis fichées dans les corps vertébraux sont autant de clous ouverts sur lesquels je repose comme un fakir. A la différence malheureusement que tous mes « clous » ne sont pas de la même grandeur, ce qui aggrave d’autant le supplice.

Autre difficulté, le patient couché encaisse toutes les accélérations du véhicule, tous les cahots du macadam. Le moindre joint de dilatation sur l’autoroute, le moindre cassis (et Dieu sait s’ils prolifèrent dans certaines communes !!) sont autant de chocs dans ma colonne vertébrale fraîchement opérée, bien que protégée par le port de mon corset. Pour supporter cette épreuve particulièrement pénible, je me suis préparée avec ma copine Charo (voir lettre à Odile) pour une visualisation-relaxation où je mobilise toutes les pièces matérielles et vivantes de ma colonne vertébrale, comme autant de musiciens dont je suis le chef d’orchestre. Malgré ce texte enregistré que je m’écoute en boucle sur mon e-pod, je m’évanouis à l’arrivée, tellement le voyage a été long et difficile. Il faut me porter et m’allonger sur une table de massage, où mon ancienne kiné Frédérique m’aide à reprendre mes esprits.

1/ Tout d’abord, j’essaie de ranger mes douleurs, en les alignant comme des enfants sages dans une cour de récréation.

Allons, allons mes vertèbres... Si vous vous taisiez un peu. J’aimerais que vous chuchotiez au lieu de hurler ainsi à l’intérieur. Il y en a toujours qui en rajoutent dans l’indiscipline. Bien entendu, toujours les mêmes qui s’échappent de l’ordonnance générale en se faisant remarquer plus que les autres.

Toi ma chère dorsale n°4 = D4, je t’ai appelée David, mais tu n’en fais qu’à ta tête sans m’écouter. Je t’ai pourtant donné un très beau nom, celui d’un grand roi. Alors pourquoi me fais-tu tant souffrir avec tes deux agrafes supplémentaires. Tu pourrais me remercier de t’avoir ainsi attachée à mes tiges verticales pour te rendre plus solide. Et vous qui me brûlez sans ménagements, vous les muscles sensés rattacher la colonne vertébrale à mes omoplates, mes « rhomboïdes » les costauds Rambo 1 et Rambo 2, qui m’envoyer du feu juste sous le soutien-gorge… Votre rôle est d’avoir une vigilance de sentinelles. Et voilà qu’au lieu de me garder droite comme un I, vous m’arrachez mes omoplates avec vos lances ! Dressez vos piques vers le ciel et non à l’horizontale, c’est un ordre !

Et vous ma bande de poignards indisciplinés, un peu de calme ! Vous, les fameuses vis vissées dans les corps vertébraux de chaque vertèbre. Ne pouvez-vous pas me laisser un peu de répit quand je me roule dans le lit sur le côté, au lieu de m’envoyer votre cortège de douleurs qui tel un faisceau d’épées me traverse de part en part ? ? Il y en a toujours 2 au niveau du sacrum en S1 – ma première vertèbre sacrée Salomon- qui dépassent plus que les autres. Pourquoi avez-vous décidé de vous pointer ainsi, au lieu de vous aligner comme les autres ? Pourquoi dans mon impression générale de « fakir couché sur une planche à clous » ces 2 là font-elles toujours bande à part parmi les quarante autres, par leur dépassement intempestif ? Comme deux Ali-baba qui prendraient la tête des 40 voleurs ? J’aimerais vous imposer de rester couchées en quarantaine, au fond du lit sans se dresser dans mon dos sans ma permission. Finie, la récré, on s’aligne !

2/ Et maintenant je remets un peu d’ordre dans l’orchestre.

Maintenant que tu t’assagis un peu, cher David, pourrais-tu utiliser toute ta puissance de chef pour donner l’ordre aux meilleurs artisans de ton royaume pour transformer tout mon matériel disposé dans mon dos, toutes ces agrafes, vis, tiges et barres en une magnifique lyre. Une belle lyre en métal sur laquelle tu pourrais chanter des psaumes. La marque mon matériel « Colorado n° 2 » est une couleur. Cette lyre brille d’un doré orangé comme les pentes du canyon de ce désert. Il paraît que ce matos soit est plus pur que de l’or : alors, ordonne qu’elle sonne comme un Stradivarius. Un chant puissant qui donne la chair de poule, un hymne à la gloire de la vie qui a poussé en moi. Je suis là, j’ai survécu à toutes ces pulsions et dangers de mort. J’ai résisté aux accidents opératoires de moelle épinière. J’ai été entourée de 10 personnes de haute qualification au bloc pendant une dizaine d’heures qui ont fait un travail d’orfèvre. J’ai joué les prolongations : il y avait deux routes, mon corps a décidé de redresser la tête et de choisir la vie. Je voudrais goûter alors chaque minute de ce temps retrouvé, comme de la gelée royale douce comme du miel. Je voudrais que vous soyez autant d’abeilles qui bourdonniez de concert et que je sois votre Reine.

Et commençons par rassembler cet orchestre en désordre. Je voudrais que mes 12 dorsales, mes 5 lombaires, mes 5 vertèbres sacrées, les 12 disques des dorsales, les 5 rectangles en titane qui ont remplacé mes disques lombaires, mes 18 greffes osseuses D1/S1 fabriquées avec mes épines dorsales et de l’os de synthèse : ces 57 unités, drapées dans de magnifiques robes du soir rouge vermillon, grenat, terre de sienne dessinées par Christian Lacroix, agrémentées d’écharpes chamarrées couleur de feu orange, coq de roche, vermillon, rose fuschia et jaune d’or… fassent un grand silence et se tiennent dignes.

J’appelle aussi à la rescousse le matériel qui accompagne cet ensemble chatoyant : mes 2 grandes tiges en titane, ma petite tige du milieu D6-D10, mes deux plaques sur le bassin, mes 42 vis. Ma solide charpente métallique à la Eiffel, qui a relayé ma colonne vertébrale fatiguée. 47 unités en tout, revêtues de smokings impeccables de sobriété d’Yves St Laurent, dans un bleu nuit comme de l’encre, lisse comme des cheveux gominés de tauréador, relevé par une délicate pointe de brillance : une ganse satinée sur le revers. Tout ce collectif de 104 musiciens entièrement solidaires maintenant, rassemblés pour toute ma vie que je souhaite longue, vous êtes soudés jusqu’à la fin désormais. Vous êtes tenus d’apprendre à vivre ensemble. J’aimerais un grand recueillement de l’orchestre pour démarrer pile au même instant, dans un unisson irréprochable, au geste précis de ma baguette, qui tranche le silence avec l’exactitude de l’effilement du bistouri du chirurgien.

3/ Je distribue maintenant les partitions à chacun

Que ma colonne vertébrale soit une flûte dorée qui chante d’une voix d’une pureté et d’une puissance qui sonnent dans une voûte de cathédrale. Que l’air du souffle de mes poumons retrouvés envoie leurs 3 litres d’air pour circuler tout au long de cette grande flûte dressée comme une colonne de temple, portée par S1 , mon fidèle Salomon qui tient l’édifice et porte les deux barres horizontales attachées sur mon sacrum comme les deux arcs-boutants qui soutènent ma colonne. Un roi si juste dans ses jugements, détenteur du DROIT pour assurer une verticalité irréprochable comme la rectitude d’un fil à plomb. Que tous ces trous faits par les vis, les crochets, les agrafes, deviennent autant d’ouvertures de l’instrument pour faire passer l’air et émettre des harmoniques d’une justesse vibratoire à faire pleurer des pierres.

Que le bassin circulaire de mon sacrum qui a accueilli mes petits soit l’embouchure de cette flûte. Là où j’ai porté la vie comme un trésor. Qu’il émette des sons purs comme des doux vagissements d’enfants que j’ai baignés dans mon bassin et qui naissent à la vie, comme des voix d’anges, des chants sacrés qui s’envolent vers le ciel comme une nuée de papillons.

Que les cervicales chantent des sons de basse et notamment C2 Axis qui me donne l’équilibre et protège des vertiges et de la folie. Qu’elle reste bien calée, droite dans son axe et donne le LA grave à 440 vibrations/secondes, le diapason de tout l’orchestre. Comme la long montée d’un Ohmmmmmmm tibétain qui se prolonge dans un écho immense.

Que C1 Atlas - le géant qui porte la terre- et que j’ai nommé Christophe, le puissant passeur de fleuve qui réussit à traverser, malgré la très lourde charge divine qu’il porte sur ses épaules, émette des sons de Bourdon très graves qui sortent des profondeurs, pris dans son coffre puissant de Titan et qu’il anime le chœur de toutes ses sœurs de fortune, toutes mes pièces en titane. Qu’il sonne comme les plus hauts tuyaux des grandes orgues de St Sulpice joués par César Franck et Gabriel Pierné, les professeurs de ma grand mère Odile. Qu’il soit le gardien de mon contrôle postural et veille à l’alignement impeccable des 57 vertèbres et de leurs compagnes greffes et disques, chatoyantes dans leurs superbes robes du soir et leurs écharpes colorées, des 47 charpentiers qui m’outillent dans leurs smokings bleu nuit, comme la rangée sage d’enfants dans la cour d’école du film les Choristes.

Que mon oreille interne ODILE, du nom de ma grand mère pianiste, fasse partir un souffle qui prenne sa puissance dans les poumons du géant Atlas, au passage de C1, mon fidèle passeur Christophe.

Que les dorsales du haut, celles qui me font le plus mal, le quatuor de « la bande des 4 » D4 (David)/ D3 (Daniel)/ D2 (Denis), D1 (Dominique) chantent des beaux chants d’hommes ténor et notamment David avec sa lyre. Dominique avec ses sourires et ses mélodies espagnoles. Ils pourraient chanter un chant de libération pour mettre en fuite les douleurs : « O bella Ciao, bella Ciao… bella Ciao… Ciao.. Ciao… »

Que les dorsales du milieu D8/D7/D6/D5 chantent des voix de femme alto comme l’instrument de mon oncle Etienne : des airs de Brahms, par ex le concerto n° 1 pour piano et orchestre.

Que les dorsales les plus basses D12/D11/D10/D9 chantent des voix de soprane dramatique de femme de même tessiture que la voix de ma mère, avec une musique de Reynaldo Hahn « Si mes vers avaient des ailes…./ des ailes comme l’oiseau… » qu’ils s’envolent à leur tour, dans un grand bruit d’ailes.

Que les lombaires L5/L4/L3/L2/L1 - et notamment L5 = Louise, la plus vieille, la plus fatiguée- chantent des chants de voix de femme soprano, des beaux motets de Bach comme « Herr, du lässest nicht mich… nicht… mich… » Seigneur, ne m’abandonne pas…)

4/ Bouquet final

Que Axis donne le LA de départ et que je fasse descendre mes 3 litres d’air doucement, tout doucement le long de mon dos. Je remonte la gamme dans cette comptine enfantine de la Mélodie du Bonheur chantée par Julie Andrews :

Do- Le Do il a bon dos
Ré- Rayon de soleil d’or
Mi - C’est la moitié d’un tout
Fa- C’est facile à chanter
Sol, Le sol où nous marchons
La, C’est là où vous allez
Si siffler comme un pinson

Et ça nous ramène à Do….

_Le DOS…

Et pour conclure, que mon bassin s’ouvre comme une embouchure de trompette dans un concerto de musique baroque de Corelli. Que ce souffle sèche toutes ces greffes, tous ces matériaux séparés et qu’il fabrique un ciment capable de souder solidement les 104 pièces de mon dos, solidaires dans un immense, gigantesque LA final : les cervicales chantant le La grave à 440 vibrations/ seconde,
les dorsales le La alto à l’octave du dessus à 880,
les lombaires encore au dessus avec le La soprane à 1760…
les vertèbres sacrées dans le La suraigu à 3520…..

Et que cet immense accord parfait vibrant de toutes ses harmoniques fasse écrouler dans un nuage de poussière les murailles de la peur et de la perte de sens comme les trompettes de Jéricho…

Qu’on ferme les portes du passé de l’AVANT ! Qu’on ouvre grand, très grand, les portes du futur de l’APRES !!!