Le projet politique de la droite française s’organise autour de l’accaparement pour une minorité des instruments de pouvoirs qu’ils soient symboliques ou pécuniaires. Le Sarkozysme sert de pivot à une idéologie de bazar lourdement chargée de pratique marchéisée, poussant à son paroxysme les rapports de puissance, de pouvoirs, de pressions. Réfuter l’hypothèse libérale du régime sarkozien confine, au moins pour une grande part de ce qu’il advient, à se fourvoyer.
La pensée libérale se gave de vieilles lunes sur l’affectation efficiente des ressources par le jeu maximisateur des agents économiques. Sous les effets de la concurrence, tout (absolument tout) s’équilibre pour le meilleur et la félicité. Le libéralisme se rêve immanent, naturel, constitutif essentiellement d’un ordre spontané. Ce positionnement chimérique s’apparente dans son caractère utopique à la miraculeuse société communiste. Depuis quelques décennies, l’hypothèse hypersociale semble caduque. Néanmoins, personne ne se risque à une excursion dans le libéralisme pur, celui des délires fumeux de la Trilatérale. Pour la simple raison que cette possibilité s’avère physiquement, psychologiquement impossible. Ce n’est qu’une alternative, un monde autorégulé fantasmé par une poignée de penseurs critiques et marginaux d’après-guerre réfractaires au keynésianisme triomphant. Un quarteron de milliardaires en lévitation qui pensaient découvrir la pierre philosophale, le mouvement perpétuel ou (et surtout) le meilleur moyen de tirer parti de positions économiques et sociales avantageuses. À part le Far West rien ne s’approche du libéralisme livresque.
Le libéralisme (du) réel triomphe bel et bien. La France de N. Sarkozy endure son dogme quotidiennement. Quoi qu’en pensent les pinailleurs et les puristes. Le projet de libéralisation de la société s’étend avec flux intenses et reflux mineurs.
Dans le possible et le réel, l’offensive se déploie depuis les années 70. Le mécanisme de monopolisation minoritaire fonctionne selon une même logique depuis. On prétexte une Étatisation trop pesante. Déresponsabilisante, infantilisante, cette pieuvre collectiviste bride le développement, l’épanouissement, la croissance. Tout est assertion pour l’effacement de la force publique, laissant aux marchands la gestion du bonheur des consommateurs. Paradoxalement, l’État (le même) se charge de son propre désarmement au profit des commerçants. Le libéralisme ne serait rien sans les structures publiques légalisant sa domination.
Le projet politique de la droite consiste en l’accaparement des leviers publics pour mettre en place une redistribution inégalitaire, issue d’une situation préexistante déjà stratifiée. Dans l’hypothèse farfelue d’un basculement intégral dans le libéralisme pur, la “société” sombrerait rapidement dans la sauvagerie. L’exacerbation des positions dominantes transformerait le monde inégalitaire et vivable en maelström spencerien et apocalyptique. L’alternative réelle (et supportable) consiste plutôt à conduire un glissement graduel (mais inexorable) vers la société de marché par l’entremise du jeu démocratique. Dans ce contexte, un secteur public représentant 53% du PIB (comme se plaisent à geindre les Friedamniens) n’a pas de réelle signification. Sauf de permettre aux libéraux, jamais à satiété, de prétexter un collectivisme rampant. D’autant plus que l’administration réaffecte dans une logique de plus en plus inégalitaire ses subsides au profit des plus fortunés et du secteur privé. Les libre-échangistes gagnent à tous coups. Somptuairement servit par l’ennemi étatiste tout en pleurnichant contre ce dernier. En l’espace de deux années, le gouvernement mu par des doctrines tels que le ruissellement ou autres balivernes du supply-side se déleste d’une partie de ses recettes provenant des plus riches (bouclier fiscal, droits de succession…), renforce la subordination des salariés face aux directions actionnariales (travail le dimanche, rupture conventionnelle…), débite méthodiquement les services publics (santé, éducation…).
Curieusement, il en va de même pour les structures supranationales. L’OMC, le FMI, sont l’émanation des états qui les composent. Elles ont organisé globalement l’impuissance des actions publiques de régulation. Les gesticulations postcrise camouflent seulement, simplement un revirement de circonstance.
Jean-François Sirinelli a beau cogiter sur l’existence de droites plurielles, dont certaines ne seraient pas libérales, la tendance globale est têtue, invariable. C’est au profit d’une minorité de plus en plus restreinte que s’articulent, et le désengagement de la puissance publique, et l’engagement de ce qu’il reste de celle-ci. Un paradoxe qui permet toujours aux mêmes de gagner et de se plaindre. N. Sarkozy, C. Lagarde, H. Novelli et toute la clique UMP aux commandes de la France vivent sous le dogme onirique de la concurrence partout, tout le temps. Seul bémol : c’est pratiquement impossible. Alors, contre fortune contrariée, ils se muent en libéraux frustrés, mais pragmatiques.