Vous n'avez toujours pas compris les laptop rockers ? Pour vous, Beck n'est qu'un pauvre crétin qui a bien samplé Dr John un jour pour son Loser d'anthologie (lui c'est toi et moi c'est moi !), mais rien depuis ... Oui, mais Harmonia !
1976. Faisons un petit détour par la BRD, Bundes Republik Deutschland, de l'Ouest (c'est le côté Tournesol). A l'époque, loin d'être réunifiée avec sa voisine la DDR (la Deutsche Demokratische Republik), la BRD vit une envolée culturelle sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec Wenders, Fassbinder et la Bande à Baader. Une vague terroriste, comme Michèle Alliot-Marie en rêve encore... Ca pète de partout, on crée joyeusement, et en plus, on assassine à qui mieux mieux ... Ici, Chirac a mis Giscard au pouvoir pour renouveler la droite française contre l'ouverture prônée par Chaban-Delmas, ChiChi se casse en regardant droit par les fenêtres de l'Hôtel de Ville parisien. Les punks déboulent à Londres, mais l'histoire du rock a fait un détour significatif par l'Allemagne depuis 1968, avec des groupes comme Amon Düül, Can, Kraftwerk, Tangerine Dream, Ash Ra Tempel, Neu et d'autres plus mélodiques. Comme Cluster ou Harmonia.
Certains anticipent alors toutes les tendances à venir et marquent durablement : Can en jouant toujours à côté du rock, Ash Ra Tempel en visant les guitares acides californiennes, Kraftwerk en dansant avec des robots (ce que Detroit appellera plus tard la techno), Tangerine Dream avec ses synthés ou Neu avec une rythmique que tout le monde pompera pendant dix ans avec la new wave et que Amon Düül sera le Floyd teuton.
Oui, mais... Harmonia ? Hans Joachim Roedelius, Michael Rother et Dieter Moebius, pour l'occasion avec Eno vont juste inventer l'ambient. Rien de moins.
Ces longues boucles bien peignées, ces climats qui défilent tranquillement sans un seul accroc dans le paysage vont filer des idées à Brian Eno, bien seul depuis 1974 et sa défection de Roxy Music où il donnait les quelques idées notables qu'à pu apporter le glam anglais. Car l'idée reste de faire délirer la musique par tous les moyens, et nouveaux si possible. A l'époque Sicolas Narkosy est au lycée, il préfère le Sardou de Ne m'appelez plus jamais France et les Bals Populaires. N'ayez pas peur, il n'en saura rien... Donc, Brian Eno qui balance des trucs improbables sur son label Obscure mixant musiques orchestrales jouées en rock ou l'inverse avec le Pinguin Cafe Orchestra ou en intervertissant les instruments des formations classiques avec le Portsmouth Synfonia découvre avec ces Allemands fort mélodiques qu'on peut faire beaucoup avec très peu. Pas de batterie, pas de guitare ou si peu, des magnétophones Revox montés en boucle, des synthés et quasi pas de voix (ce sera pour Cluster, autre projet vocal des mêmes ou presque) et l'affaire est dans le sac. Tous ces sons bricolés à l'époque, avant que n'arrivent les vrais synthés et home studio qui feront la joie de l'électro, de la house et de la techno, un peu plus tard.
Les ambiances venues d'ailleurs, les sons filtrés à mort vont filer aussi des idées à Cabaret Voltaire, Human League et Throbbing Gristle, du côté de la musique industrielle qui en enlèvera les joliesses harmoniques (tu vois d'où vient le nom là, non ?) pour préférer les fréquences physiques agressives qui font vomir (vrai pour Throbbing Gristle qui faisait gerber ses spectateurs lors de certains concerts en vrillant les basses... il était un foie, Beuark !!!!).
Résuméons : de plages, des boucles, de l'herbe, un public conquis et recueilli pour assister à des concerts où se joue l'esprit du moment. Cela, c'était juste avant le punk sur deux notes et un accord. Une dernière respiration dans les volutes de Cachemire et on passe direct à la bière aux crachats de God Save the Queen. Mais c'est une autre histoire, dont Johnny Lydon se souviendra avec PIL, en mixant ambient et dub.
Harmonia & Eno 76 // Tracks and Traces // Grönland/PIAS