Contes de l'ordi sacré : Gudule au centre de la terre 9

Publié le 05 septembre 2009 par Porky

EPISODE 9 : Où la rencontre avec la femme maigre se termine par un magistral coup de théâtre.. 

Les membres de notre vaillante troupe n'avaient pas fait deux cents mètres dans le couloir qu'ils entendirent tout à coup un gémissement suivi d'une plainte à faire frémir tous les damnés de la terre. Le caribou magique dressa les oreilles et stoppa net. Arrêt brutal qui provoqua quelques remous dans le groupe, Multimédia ayant par mégarde marché sur la robe de la Princesse de Conte de fée, laquelle Princesse entendit tout à coup un craquement fort peu mélodieux tandis qu'un petit morceau du bas de la robe se trouvait malencontreusement arraché puis coincé sous les chaussures de la pauvre Multimédia.

L'affaire eût pu être grave ; et même très grave, quand on connaît un peu le caractère légèrement soupe au lait de la Belle Monogramme, Princesse de son état. Alors qu'un hululement de colère allait s'échapper des lèvres sensuellement écarlates de la Princesse, le caribou magique fit un grand geste censé barrer le passage à ses compagnons ; sa patte entra donc en contact avec la bouche de la Belle Monogramme, et le cri de rage se trouva dans l'impossibilité de s'exprimer. Au lieu de la voix cristalline de la Princesse, ce fut celle, nettement plus grave, du caribou magique qui s'éleva.

« Ce n'est pas normal du tout, dit-il. Nous aurions dû entendre le feulement lugubre de la femme maigre. Au lieu de ça, ce sont des gémissements... Que se passe-t-il ? » «La différence est donc si grande ? demanda Myxomatose. Après tout, gémissement ou feulement, quelle importance ? » « C'est vrai que le son est assez proche, répondit le caribou magique. Mais justement : la femme maigre ne change jamais ses habitudes. Il a dû arriver quelque chose... » « Avançons, nous verrons bien », proposa Dame Marsupilania. Et comme on commençait à trouver le temps long, planté qu'on était dans cet endroit sinistre, on trouva l'idée excellente. 

A petits pas, on avança vers les gémissement qui avaient repris et dont l'ampleur ne cessait de croître au fur et à mesure qu'on progressait vers ce qui semblait être une caverne vaguement éclairée. (Mais la source de lumière demeurait fort énigmatique.) Et ce qu'on vit au détour du chemin laissa muet tout le monde, Princesse et caribou magique compris.

Assise devant son baquet renversé, sa planche à laver cassée et son linge souillé, la femme maigre pleurait comme un veau et ses sanglots soulevaient par à coups ses épaules rachitiques. « Qui c'est, cette horrible greluche ? » demanda la Belle Monogramme, oubliant tout à coup sa robe déchirée. « Qu'est-ce qu'elle fiche ici ? » interrogea Marsupilania qui ouvrait de grands yeux étonnés. « C'est ça, la femme maigre ? » questionna Myxomatose. Le Prince Logarithme ne put s'empêcher de remarquer que le nom collait parfaitement au personnage et que oncques il n'avait vu femme aussi maigre. Et plate. Quant à Multimédia, elle ne disait rien mais n'en pensait pas moins.

« Holà, femme maigre, s'écria le caribou magique, que t'arrive-t-il ? Quelle est la cause de ce chagrin incompréhensible ? Pourquoi ton baquet est-il dans cet état ? Et ton linge ? Et ta planche ?... » « Une question à la fois, s'il te plait, répondit la femme maigre en essayant de se moucher dans un chiffon qui ressemblait à une serpillière. Comme tu le vois, on m'a bousillé mon matériel  et on m'a calottée si fort que j'ai volé contre le mur et me suis assommée. » « Mais qui donc est l'auteur de cette ignoble exaction ? » demanda le caribou magique, impressionné. « Ignoble, ignoble, c'est vite dit, murmura la Belle Monogramme. Le fait est qu'elle donne vraiment envie de la cogner » et le caribou magique, d'un geste, lui intima l'ordre de se taire.

« C'est ton frère, le caribou fou, rétorqua la femme maigre. C'est lui qui a osé lever la main sur moi. Regarde mon baquet, regarde ma planche... Si c'est pas à pleurer, ça !... » « Elle fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose, assura Marsupilania. Elle n'a qu'à ramasser son baquet, éponger son eau, trouver une autre planche et le tour est joué. » « J'avoue être assez d'accord avec cette analyse », dit Myxomatose. « Cette femme maigre me semble bien incompétente », avança le Prince Logarithme. « Et elle est censée nous faire quoi, là ? intervint de nouveau la Belle Monogramme. C'est elle qui doit nous faire passer l'épreuve ? Ce truc moche et pleurnichard ? » « Vous ne connaissez pas l'abominable pouvoir de la femme maigre, Princesse, répondit le caribou magique. De tous les obstacles, c'est un des plus redoutables. On ne le dirait pas, en la voyant, mais elle peut nous conduire à un destin funeste. » « Bon, alors si on faisait demi tour ? proposa Myxomatose qui était devenu quelque peu blanc. Passer l'épreuve est peut-être inutile... »

« Ce n'est pas la peine de trembler, dit la femme maigre. J'ai perdu mes pouvoirs en perdant mon eau, mon baquet et ma planche. Le temps que je trouve un attirail neuf et capable de fonctionner, vos aurez fait le tour du centre de la terre. » Et elle se remit à pleurer en s'arrachant la chevelure, qu'elle avait longue et fort maigre également.

« C'est fou le nombre de tarés qu'on peut rencontrer depuis qu'on vous connaît, caribou magique, dit Marsupilania. Celle-là est quand même parmi les plus graves que j'ai vus. » « Nous avons une chance inouïe, murmura le caribou magique. Nous n'aurons pas à subir l'épreuve. » « Et c'était quoi, cette épreuve ? » demanda Multimédia, naïve, tandis que la Princesse chuchotait « tais-toi, patate ! » et que Myxomatose la pinçait. « Rien de moins que m'écouter chanter, dit la femme maigre. C'est insoutenable. Je suis l'anti-sirène par excellence. Il fallait endurer sans mourir trois chansons d'affilée. Cette garce de Gudule a triomphé de moi. Elle s'est fabriqué des bouchons d'oreille. Elle m'a eue. Quant au caribou fou... »  « On sait, on sait, se hâta de couper le caribou magique. Le chemin est donc libre ? » « Allez ! » fit la femme maigre  en tendant théâtralement le bras.

Alors que le caribou magique allait dire quelques amabilités superflues, celui qu'on avait oublié mais qui était encore bien là, à savoir le Masque de fer, non seulement pointa son nez dans le dialogue mais se livra à une gymnastique pour le moins surprenante. Il s'écroula tout à coup aux pieds de la femme maigre.

« Oh, Dame, s'écria-t-il, vous êtes la plus belle et la plus désirable de toutes les créatures célestes que j'ai rencontrées dans ma longue vie. Quel est votre nom, votre vrai nom, en dehors de ce sobriquet immonde de « femme maigre » ? »

Cette sortie était tellement inattendue qu'elle stupéfia tout le monde, y compris la femme maigre qui se remit à pleurer en le suppliant « de ne pas se fiche de sa figure ». Mais le Masque de fer, pris d'une sorte de folie amoureuse, insista derechef. « Je vous assure que je n'ai jamais vu femme plus belle que vous, continua-t-il et on le regarda avec commisération. Dites-moi votre nom, je vous en supplie... »

(A suivre)

(Voilà à présent notre Masque de fer chéri atteint sinon de démence ou de sénilité, du moins de ce qu'on peut appeler le coup de foudre... Cela devrait faire rebondir l'intrigue car que va répondre la femme maigre ? Cette dernière va-t-elle changer de statut et d'obstacle (prétendu) devenir une alliée ?... Et nos amis, que vont-ils penser de ce coup de théâtre ?... Rideau.)