Pendant quinze ans, ils se sont aimés d'un amour sublime et inépuisable, forts d'un désir jamais assouvi. Pourtant un jour, le narrateur se réveille et n'a plus envie de Fizz. Rien n'y fait, c'est fini, parce que son corps ne l'inspire plus, leur histoire s'arrête là. Alors il raconte leurs amours torrides, avant, quand ils s'aimaient et que rien ne pouvait diminuer leurs ardeurs. Trois cent soixante dix pages à ce rythme-là, on pourrait croire ça lassant et pourtant pas, ou à peine tellement cet amour est flamboyant et radieux, s'épanouissant sur toutes les gammes du désir.
"Mais le désir est une chose curieuse. S'il n'est pas là, il n'est pas là, et rien ne peut le faire apparaître. Pis : quand le désir commence à faire naufrage, tel un bateau qui a chaviré, il emporte à peu près tout avec lui. Je l'ai vérifiée."
La jaquette résume ainsi ce livre : "L'Inde à la fin des années 1990. Depuis quinze ans, un journaliste et son envoûtante femme Fizz vivent une intense passion amoureuse entre Chandigarh et Delhi. Mais une étrange découverte dans leur vieille maison accrochée aux contreforts de l'Himalaya, fait basculer leur couple." L'étrange découverte en question n'apparaît que page trois cent soixante-dix, ce résumé me laisse donc perplexe. Mais elle arrive à point nommé pour redonner du dynamisme à ce roman qui aurait peut-être transformé sans ça le lecteur en voyeur. Une autre histoire s'écrit alors, celle de Catherine, une Américaine qui découvre l'Inde au bras d'un jeune prince et qui passe par bien des expériences sexuelles et amoureuses avant de découvrir la passion dévorante.
On comprend que c'est l'histoire de Catherine qui a troublé le narrateur au point de l'éloigner de sa femme. Trois ans pour lire soixante quatre carnets qui écrivent en creux l'histoire du narrateur qui ne connaît lui aussi d'autre passion que sexuelle. Le monde s'efface, les autres disparaissent, il ne fait plus que lire, lui, l'écrivain raté :
"Bientôt, ce qu'il y avait de plus net dans ma vie - Fizz - commença à devenir diffus.
Aujourd'hui encore, tant d'années après, il m'est difficile d'analyser comment les choses ont pu évoluer si vite, mais chaque mot lu de ce journal intime devint un point de suture arraché à notre relation. Je lisais, lisais, lisais, à chaque instant libre, nuit et jour, et les points de suture sautaient l'un après l'autre.
Je plongeais dans les carnets comme une grenouille dans un puits. Je ne voulais pas en sortir. Mon univers se trouva enchâssé dans du cuir fauve. Les carnets étaient un défi..."
Premier roman indien que je lis et il est aussi foisonnant que je l'imaginais. Du point de vu du style d'abord, c'est vraiment éblouissant la façon dont l'auteur décrit cette passion, l'amour physique, le corps de la femme, l'éblouissement et l'ardeur du narrateur. C'est sensuel, languide, omniprésent mais jamais répétitif, bref, c'est assez envoûtant. C'est aussi une plongée immédiate et sans filet dans l'Inde du XXe siècle. L'auteur étant indien, il ne cherche pas à faire couleur locale, mais immerge son lecteur dans un quotidien qui, vu d'ici touche parfois au surréalisme. Saisissante scène d'attaque terroriste dans un bus, terrifiants récits de voyages qui prennent toujours des heures, luxuriance des paysages, excès de grandiose dans la nature et de bouillonnement dans les villes.
Moi qui ne connais absolument rien à ce pays, j'ai été captivée par ce roman. L'histoire de cet homme qui cherche un sens à sa vie, à l'amour, de cet écrivain raté qui trouve des manuscrits qui n'ont aucune prétention littéraire et pourtant l'envoûtent, tout est troublant et interroge le lecteur. Bien sûr, la beauté de ses descriptions érotiques ne sont pas étrangères à mon enthousiasme, je ne pensais pas qu'on pouvait faire si beau, si variée, si descriptif et précis tout en restant extrêmement délicat et toujours émouvant. Le titre original est d'ailleurs The Alchemy of Desire.
"Qu'en termes galants ces choses-là sont dites", j'invite tous les plumitifs graveleux à lire ce livre !