Nous passions, jeunes encore, sous les hautes frondaisons et le vague murmure de la forêt. Les clairières, apparues soudain aux détours du sentier, devenaient lacs sous la lune, et leur lisière, aux branches entremêlées, formait une nuit plus dense que la nuit même. La brise incertaine des grands bois respirait, sonore, dans les ramures. Nous parlions des choses impossibles; et nos voix faisaient partie de la nuit, du clair de lune et de la forêt. Nous les entendions comme les voix de quelqu'un d'autre.
Cette forêt imprécise n'était pas dépourvue de tout chemin. Elle possédait des raccourcis que, sans le vouloir, nous connaissions déjà, et nos pas sinueux foulaient les taches d'ombre mouvantes et les vagues paillettes du clair de lune, dur et froid. Nous parlions des choses impossibles, et tout le paysage réel était également impossible. Fernando Pessoa, l'Intranquillité.
Il m'a semblé que l'amour se passerait comme ça, dans l'étroitesse du réel, mais sans y être figé. Il m'a semblé que le véritable amour se délirait dans l'espace rocheux, dans les tentacules déliées des ormes et des sapins.
Il m'a semblé que la beauté qui perce des trous dans le crâne, la beauté qui fait frissonner jusqu'à tous les sommets de chair, il m'a semblé que cette beauté-là ne pouvait être née que de l'impossible, que du monde rêvé.
Il me semble que le tracé que je suis sur la terre de mes jours d'aujourd'hui s'en va là-bas et traverse la lisière du bois. Je glisse lentement mon cou sur cette autre voix qui me donne la langue, qui percutent ma peau et qui chante des paroles impossibles pour un monde impossible.
À l'orée du bois, la beauté impatiente nous attend en piaffant.
Pour me faire pardonner, je lui donnerai la bouche,
avec votre accord, mon amour.