S'il n'était qu'un terme de la langue française que l'usage a galvaudé, ce serait celui de « République ». Loin de se borner, comme ailleurs en Occident, à désigner la forme du régime politique, par opposition à la monarchie, loin donc de se limiter à siginifier « régime non-dynastique », la République, en France, est également un corpus de valeurs, mais sur lesquelles, comme dans toute société pluraliste ou censée l'être, tout le monde ne s'accorde pas. Chez les républicains « de droite », la République, c'est la France, et c'est le nom que l'on lui donne pour la faire accéder à l'universel. La République, Marianne, c'est le surmoi de la France, la divinité séculière qui guide la France sur la voie qu'ont jadis tracée pour elle la monarchie absolutiste, puis les treize * différents régimes depuis la Révolution de 1789.
Mais, on le sait**, la République et l'adjectif qui en dérive recouvrent des valeurs dont la gauche, du Parti communiste à Jean-Pierre Chevènement, prétend qu'elles sont indissociables de l'« identité républicaine » : ces valeurs, toutes forgées lors de l'expérience montagnarde, sont celles de l'étatisme, du jacobinisme et du socialisme.
Alors que le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Éric Besson, dont le groupuscule « Les Progressistes » n'a rien renié de son ancrage à gauche, réduit l'identité de la France aux valeurs républicaines telles que les entend la gauche, il semble que la notion de République, brouillée, ne permet plus de définir un projet pour la France, en dépit (ou en raison ?) du fait qu'elle est invoquée à tout propos.
Si l'on préfère, comme ailleurs en Occident, cantonner la République à la démocratie libérale, à l’État de droit et aux libertés publiques, c'est-à-dire à la res publica, la « chose publique » dont peuvent se prévaloir toutes les monarchies européennes, il n'y a pas lieu d'abandonner ce terme, mais de ne pas l'utiliser à toute occasion, chose que les intellectuels étrangers, quand ils s'intéressent à la France, trouvent toujours curieuse. La France est le seul pays à se concevoir avec autant de passion comme étant une République. Mais cette dernière devient un « mot magique » à mesure que les idéaux qu'on lui prête apportent la preuve de leur échec.
Car, de plus en plus, l'adjectif « républicain » n'a plus qu'un lointain rapport avec la forme du régime politique de la France, et de plus en plus avec une identité de substitution que l'on veut imposer aux Français. En somme, pour paraphraser Jean Raspail, « la Patrie [est] trahie par la République ». C'est au nom de la République que les associations dites de défense des « sans-papiers », en réalité de soutien à l'immigration clandestine, jouent contre les intérêts de la France, en lui imposant un multiculturalisme dont les Français savent qu'il est fatal à l'identité française.
Il serait vain de chercher à trouver une définition de la République sur laquelle les Français pourraient à nouveau trouver un réel consensus, sauf à en donner une notion restrictive, qui fasse de la République l'équivalente de ses homologues européennes.
La France est mûre - trop mûre, peut-être - pour qu'on puisse enfin l'appeler par son nom, au lieu de toujours se référer à une allégorie majusculée. Il est temps, au lieu de sans cesse s'abriter derrière une République en crise pour justifier quelque propos de bon sens sur l'avenir de la France, de parler au nom de la France, et de donner à la République l'importance qui lui revient, celle d'un nom commun commençant comme tous les autres par une lettre minuscule. Il est plus que temps que la France républicaine, seule à avoir encore un sens, se substitue à la République française.
Roman Bernard
* Je ne compte pas l'État français de Vichy, simple marionnette de l'occupant nazi.
** Les Deux Républiques françaises, de Philippe Nemo.
N.B. : je me rends compte après la rédaction de cet article qu'il coïncide avec l'anniversaire de l'instauration de la Troisième République, le 4 septembre 1870.