Anne Cheng parle de Confucius au collège de France.

Publié le 10 mai 2009 par Florent
Depuis de brillants cours d’ethnologie par Françoise Héritier auxquels j’assistais dans mes temps libres, le collège de France porte pour moi une signification et un intérêt particulier : la diffusion des connaissances humaines pour tous (les parisiens), par les meilleurs spécialistes.

Parlons ici d’une série de Cours donnés par Anne Cheng sur le renouveau du confucianisme.

La lecon inaugurale est en format vidéo ici, les leçons qui suivent sont au format son (podcast).

Voici quelques prises de notes rapides.
L’introduction d’Anne Cheng est intéressante ; elle prend une posture de refus, ou plutôt de temporisation par rapport à la différence culturelle.

Certains absolutisent tout de suite la différence culturelle (jusqu’à faire de la Chine un grand Autre).
D’autres la nient mordicus (jusqu’à avoir peur de termes comme les “valeurs chinoises”)
Les premiers font ressortir les différences culturelles ; les seconds les aplanissent.

Cela m’a fait penser à un passage du Zhuangzi :

Celui qui sait que l’est et l’ouest s’opposent,
mais que l’un ne peut exister sans l’autre,
saisira le dosage d’efficacité

如东西之相反而不可以相无, 则功分定矣
(如東西之相反而不可以相無, 則功分定矣)

Zhuangzi Qiushui 30

Anne Cheng parle des différences culturelles (au pluriel), et préfère passer du temps à

se promener, à visiter avant d’entrer dans le registre du comparatisme. Si l’on avait tout le temps devant soi, je suivrais sans doute sa recommandation…

Voici quelques passages intéressants de la lecon du 21 janvier, qui parcourt le XXe siècle (jusqu’à 1980) et montre la désincarnation graduelle du confucianisme, assimilé aux “vieilleries” qui empêchent la Chine de se moderniser

“la révolution culturelle est une exacerbation paroxystique de l’esprit du 4 mai”

Les attaques des théories de Max Weber (lien du protestantisme et du développement capitaliste et social) ont un fort impact en Chine

Heureusement que les chinois n’ont pas abandonné leur écriture car elle plaît tellement aux occidentaux !
(amusante pirouette)

Dans les années 50 des confucianistes taiwanais et hong kong-ais lancent un appel désespéré au monde : “la culture chinoise et le confucianisme ne sont pas morts ! “ 

A la fin de la révolution culturelle Lin Biao et Confucius sont amalgamés comme cibles de la propagande anti réactionnaires
“tous les réactionnaires sont des adorateurs de confucius” 

A partir de 1905 (suppression examens mandarinaux) le confucianisme perd son corps ; il se retrouve comme une “âme errante” 游魂

La lecon du 28 Janvier montre combien les “dragons asiatiques” (Hong Kong, Taiwan, Corée, Singapour) ont les premiers ressuscité Confucius

Anne Cheng aborde ensuite, le 4 février, la remise en état du confucianisme en Chine continentale.

Tout à coup la Chine voudrait “sauter une classe”. Après avoir voulu détruire le confucianisme comme “obstacle à une modernisation de type occidentalisation”, elle le réhabilite tout à coup en disant que c’est un signe de post-modernité à vocation universelle
(on évoque des parutions sur “Confucius et liberté” ; sur “Confucius et droits de l’homme”)

L’âme errante 游魂 de Confucius retrouve petit à petit un corps : écoles confucianistes (on “remoralise” la jeunesse” en phase avec les préconisations des “entretiens”) ; reconstruction de la métaphysique; 儒家 ; 儒教

Anne Cheng fait la part des choses entre les fabrications idéologiques contemporaines (selon la “gouvernance vertueuse” 懿德治国 de Jiangzemin ou selon la “société d’harmonie socialiste” 社会主义 和谐社会 de Hu Jintao : ) et les résurgences d’aspects confucéens authentiques qui n’ont pas été perdus.

S’ensuit une amusante description de tous ces gens qui se “disputent le marché Confucius” (la Corée ayant des prétentions de “gardiens de confucius” depuis que la dynastie mandchoue Qing l’a abandonné)

Pour simplifier : 1990-1997 voit l’émergence d’un “Confucius economicus”. Depuis la crise asiatique, on observe en Chine continentale une prolifération complexe du confucianisme dans les cercles officiels et non-officiels, en “top-down” et en “bottom up”.

Exemple de phrase confucéenne réutilisée pour les JO :
四海之内
皆兄弟也
Les gens du monde entier sont des frères

Dans le cours du 11 février, elle entre plus en profondeur dans le renouveau confucéen en RPC : aspects politiques, médiatiques, éducatifs ; sociaux

Elle raconte un des anniversaires de Confucius auquel elle a assisté à Qufu. C’est une véritable mascarade folklorique (petits foulards jaunes rappelant plutôt le bouddhisme ; petits scouts confucéens ; slogans moraux sur des bannières). Elle montre le lien entre l’événement et l’idéologie des jeux olympiques. La critique tourne parfois à la moquerie.

Elle parle ensuite des écoles privées confucéennes 私塾 pour la petite enfance, et de leur forte utilisation de l’apprentissage par coeur (qu’Anne Cheng critique vertement)
Par contre c’est un retour au statut qu’avaient les entretiens sous la dynastie Han : un recueil de préceptes moraux pour l’éducation (plutôt qu’un grand traité éthique fondant la société)

Sur l’éducation supérieure, anne Cheng aborde le retour du guoxue 国学 et évoque (sans développer) le lien de ce développement avec le nationalisme
On ressuscite les 学堂 qu’on oppose aux 大学 d’inspiration occidentale. Le retour arrière par rapport aux mouvements universitaires du début XXe est implicitement évoqué. On enseigne pas des connaissances, mais de la sagesse et une quête spirituelle. On vise une renaissance culturelle qui amènerait à terme une renaissance nationale.
(la description de séances de lecture des entretiens dans un parc est passionnante : ce n’est ni un “cours d’université” orienté connaissance ; ni un “séminaire de management” orienté efficacité)

Il s’agit de reconstruire tant bien que mal (notamment par internet) un lien social et culturel qui a été largement détruit au XXe siècle. Cette tendance vient parfois courcircuiter la construction d’un espace politique.

Il me semble qu’Anne Cheng touche ici très juste. Plusieurs trentenaires à Shanghai m’ont donné l’impression de désirer cela ardemment, pas forcément pour eux mais au moins pour leurs enfants.

En conclusion, elle évoque la politique de l’enfant unique sous forme de point d’interrogation. Le confucianisme peut il se reconstruire sur une pyramide familiale inversée (6 adultes pour un enfant) ? La pression supplémentaire que cela va générer pour les enfants eux mêmes sera t elle supportable ? Une grande et belle question en effet.

Le 18 février, on parle du retour en grâce du texte des entretiens. Il a une structure courte, adaptée à un enseignement mnémotechnique.

Anne Cheng analyse les 10 plus grosses ventes de livres : un best seller confucéen de yudan 于丹 (depuis 2 ans ; une diffusion proche de celle du petit livre rouge) ; un livre d’histoire sur les Ming ; les “méditations” de Marc Aurèle (la conférencière estime qu’il y a un lien entre stoiciens et épicuriens qui pourraient être plus proches de Confucius que de Platon et Aristote.)

L’écrivain Yudan 于丹 soulève de virulentes oppositions parmi des confucéens moins populistes qui l’accusent de réduire confucius à du “bouillon de poulet” (voir un papier sur yudan 于丹, cette prof de fac qui a un grand succès autour de Confucius vulgarisé.

Notons une curieuse définition des hans : vous êtes han quand vous n’êtes ni mongol, ni ouighour, ni tibétain… curieux curieux

Anne Cheng recommande un auteur taiwanais de bandes dessinées qui me semble bien être Cai Zhi Zhong 菜志忠 (voir ici et là )

Dans le cours du 25 février, Anne Cheng s’éloigne des stars de la communication et se rapproche de milieux plus académiques, plus sérieux.

On aborde une guéguerre entre les grandes universités.
Un passage de Simaqian révèle Confucius sous un jour beaucoup plus humble.
J’ai trouvé le récit des luttes intestines entre historiens un peu moins intéressantes. Les philosophes seront abordés à la lecon suivante