Croissants et décroissants

Publié le 04 septembre 2009 par Lheretique

Me voilà à écrire un nouveau billet afin de mettre fin aux nombreuses contre-vérités énoncées dans le dernier billet de Super No. Super No souhaiterait que je l'oublie ; je comprends bien que mon argumentation le dérange puisqu'il se montre incapable d'y faire face ni de dépasser le niveau de la déclaration. Sans doute pris d'hallucinations violentes, il déclare avoir été envahi par des hordes de militants démocrates, plus enragés les uns que les autres sur son blog. Ah ? Je n'ai rien vu (ou si peu : un sympathique blogueur du MoDem, assez critique sur son propre parti, au demeurant, venant simplement signaler son désaccord avec les idées véhiculées par l'article...).

Plusieurs de ses commentateurs me demandent plus de respect pour leur idole : bon, si ça peut leur faire plaisir... Il semble que le gigot d'agneau chassé à la lance préhistorique accompagné d'une saine rasade d'eau de pluie soit passé un peu de travers chez les décroissants...

Ces quelques remarques ne sont évidemment qu'un avant-propos... Au-delà des moqueries réciproques, je suis pour ma part content d'engager le débat avec un blogueur dont les positions politiques sont assez éloignées des miennes. Et ce débat est important, parce qu'il recouvre une véritable ligne de fracture quant à la nature de l'écologie et son insertion dans les programmes politiques et économiques.

La thèse que défend Super-No a été popularisée ces dernières années et fait fureur au sein d'une partie non-négligeable de l'électorat vert ainsi que dans certains milieux de la gauche de la gauche. A ses yeux, la croissance économique est un miroir aux alouettes non compatible avec la préservation de la planète. Il n'existe aucune position intermédiaire, aucune solution médiane ni compromis, il s'agit bien de deux aspirations frontalement antagonistes.

En face, ce que nous défendons, au MoDem, c'est qu'il existe une croissance économique soutenable. C'est aussi le point de vue que je défends. Pour calculer cette croissance sur la base de données correctes, nous devons intégrer dans nos calculs toute la part de capital que nous n'avons jamais pris en compte, et qui est collective : le capital environnemental (les ressources, l'équilibre des éco-systèmes qui contribuent à les créer et les régénérer et cetera...). Nous pensons donc, qu'à certaines conditions, le mieux vivre et une consommation raisonnable et raisonnée sont compatibles avec le respect du milieu dans lequel nous vivons.

J'ai lu le billet auquel notre Super Décroissant invite à se référer. Ce qui me frappe, c'est qu'il revient comme un leitmotiv dans son discours l'idée incessamment martelée que la croissance a une fin et que les marchés sont saturés. Ce que Super Décroissant ignore, manifestement, par ce raisonnement, ce sont les mécanismes mêmes des révolutions industrielles. La situation dont il rend compte n'est pas nouvelle : l'humanité l'a vécue à chaque révolution industrielle. Je doute que cela fasse plaisir à Super Décroissant, mais ses observations pourraient avoir leur place dans quelques pages de Capitalisme, Socialisme et Démocratie de Schumpeter. En effet, nous abordons une phase de stagnation toute comparable à celles qui ont prévalu lors des siècles précédents avant qu'une rupture se produise dans l'univers capitaliste et vienne chambouler la donne.

Donc, oui, Super Décroissant, la croissance telle que nous l'avons connue n'est plus soutenable, et le monde dans lequel nous vivons ne peut pas subsister longtemps. Voilà ce que je vous concède. Mais justement, comme le dit Corinne Lepage dans son Vivre Autrement, et j'insiste vraiment pour que vous le lisiez, il faut changer de logiciel. Or, vous qui conspuez le capitalisme, vous continuez de raisonner avec les structures de ce que vous décriez. C'est là votre erreur.

Et pourtant, Super Décroissant, vous avez compris que nous vivons la fin d'une ère. Vous dites ainsi :

De la même manière, les difficultés du secteur automobile ne sont pas entièrement liées à la “crise” : c’est un problème plus vaste, les dirigeants de ces sociétés, aveuglés, contraints ou simplement complices de leurs actionnaires cupides, ont préféré tirer au maximum sur la corde de leur modèle économique sans consacrer le moindre argent à investir dans des voitures sans pétrole. Plus dure sera la chute. Elle a déjà commencé. Et elle sera vertigineuse. Rappelons que sur les 10 plus grosses multinationales du monde (en terme de chiffre d’affaires), 9 sont des compagnies pétrolières ou des constructeurs de bagnoles. Il n’y a pas besoin d’être aussi intelligent et clairvoyant que Sarkozy pour comprendre que les décennies à venir vont voir un bouleversement de l’économie mondiale, et que cela ne se passera pas forcément dans la joie et la sérénité.

Je vous rejoins à 100%, Super Décroissant, sur ce très juste constat. Et c'est bien pour cela que nous ne pouvons plus attendre, ce que ne semblent pas avoir compris sérieusement ni notre industrie automobile ni notre gouvernement. Quand je lis vos propositions, par la suite, Super-Décroissant, vous n'êtes finalement pas si loin de ce que les salauds de droitiers capitalistes, libéraux et exploiteurs du peuple, que nous sommes au MoDem, proposons. C'est simplement que vous baignez dans un profond scepticisme en imaginant que les technologies vertes ne vont pas évoluer si elles reçoivent des investissements massifs. Oui des éoliennes produisent infiniment moins qu'un EPR, mais c'est que vous persistez dans une logique de distribution d'électricité dépassée avec de grosses centrales. Pourquoi ne pas imaginer (ce que fait Corinne Lepage) de petites unités de production dans chaque maison organisées en réseaux selon les besoins de la consommation, un peu à la manière d'Internet, par exemple.

Il serait long et fastidieux de reprendre tout le billet que vous invitez à lire, mais, on peut dire, in fine, qu'il repose tout entier sur un profond pessimisme envers la nature humaine et son inventivité, et ce, dans vos deux billets.

Pour finir sur une touche littéraire, Super Décroissant, je vous renvoie à l'une des plus belles oeuvres que la littérature grecque a produit : Antigone de Sophocle. Ce n'est pas pour Antigone elle-même, qui, je n'en doute pas, est un personnage qui vous plaît probablement, mais pour ce que disent les bons et sages vieillards de la cité de Thèbes dans leur second chant choral à propos de l'Homme :

Il s’est donné la parole et la pensée rapide et les lois des cités, et il a mis ses demeures à l’abri des gelées et des pluies fâcheuses. Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l’avenir. Il n’y a que le Hadès auquel il ne puisse échapper...