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Les zinédits. Bremen. La rose de Jéricho, par Zoë Lucider
Publié le 04 septembre 2009 par Cetaitdemainorg
Nous avions atterri en plein Moyen-Age, une fête annuelle dont je n'ai pas retenu l'origine. Jennifer et moi, après avoir confié nos notes à nos valises, assuré notre plan dans nos sac, nous sommes sorties à la rencontre des petits métiers des temps anciens. La ville avait attribué aux échoppes improvisées un espace préservé de la fée électricité où tremblotaient torches et flammèches, dégageant une forte odeur de suif chuintant qui se mêlait à la cannelle du vin chaud. Des secrétaires au sortir du bureau, des familles escortant des marmots piétinaient entre les stands de cuir et de bois, où des massifs, affublés de jute, de peaux de mouton, de galoches et de coiffes entortilées ou pendouillantes, raclaient des billots ou tannaient des dépouilles. Jennifer et moi zigzaguions dans les travées, sans que la bimbeloterie nous inspire autre chose qu'un amusement narquois. Voir déambuler les costumes cravates et les carquois, les lodens et les haillons élégants des gueux de la geste en maraude de public, accentuait en moi le quasi obsessionnel dégoût des mascarades quand elles sont une quintessence du cliché où se glissent pesamment les tiroirs caisses. Nous avons assisté à une farce dont nous ne comprenions rien en dépit des efforts de pantomime des acolytes d'un gros type rouge, sorte de Barberousse maquillé en berger, qui déclamait de l'affriolant en Haut-Allemand. Ses compares signalaient de leurs braiments appuyés la puissance des saillies de l'orateur, ce qui ralentissait à peine le mâchonnement des frites chez le spectateur. En repartant, j'ai repéré l'étal minuscule d'une cahute où un type lisait sans se soucier du chaland, à la lumière d'une lampe à huile dont le parfum avait alerté mon museau. Sur sa petite planche de grosses mygales recroquevillées. Il s'agissait en fait de roses me renseigna le moine capucin après avoir posé son bouquin dont la couverture illustrée de signes cabalistiques rougeoyait comme le saint sacrement. Rose de Jéricho. Rose du désert qui attend, réduite à la silice de ses membranes, la douceur de l'eau tiède pour déployer ses verts les plus tropicaux. J'ai acheté une de ces merveilles, pour l'offrir à une amie, grande collectionneuse d'orchidées, de géraniums odorants, de rosiers profusionnels et autres végétaux exubérants et fantaisistes. Nous aurons un vrai moment d'éblouissement à voir l'agrégat de brindilles noirâtres s'étirer au ralenti, déployer ses langues délicatement découpées, dévoyer sous nos yeux un cristal de neige chlorophyllé, d'un vert à la fois profond et translucide. Dans la note de présentation, il était conseillé de ne pas "épuiser" la rose en l'exposant à des changements hygrométriques permanents. Elle préférait les longues périodes de sommeil aux trépidations de la chimie moléculaire. O' la patience du désert. Une rose de Jéricho, en souvenir de Brême, c'était plutôt cocasse et plus gai qu'un château en carton-pâte. Zoë Lucider (Opération vases communicants sur une idée de François Bon) Zoë écrit ici et moi j'écris chez elle ; cliquez sur le lien L'arbre à palabres.