Lettres à Georges - Veza et Elias Canetti - Traduit de l’allemand par Claire de Oliveira - Editions Albin Michel
Il importe donc de présenter ces trois personnages :
A tout seigneur tout honneur Elias Canetti, écrivain, auteur d’ Auto-da-fé, philosophe et Prix Nobel de littérature. Il est né en Bulgarie, dans une famille juive sépharade, l’Autriche puis l’Angleterre seront ses terres d’accueil.
Son épouse Venetiana Taubner-Calderon écrivain elle même et traductrice, elle est l’auteur de la majorité des lettres de cette correspondance, elle a épousé Elias Canetti, pour obtenir le statut "d’apatride" ce qui la mettait à l’abri d’une expulsion vers la Yougoslavie son pays d’origine, mais elle est éperdument amoureuse de Georges son beau-frère, amour impossible car Georges Canetti, naturalisé français, médecin-chercheur reconnu pour sa lutte contre la tuberculose dont il est lui-même victime, est homosexuel et ne répondra jamais à l’amour de sa belle-soeur.
Les blancs provoqués ainsi amplifient le côté secret de ces échanges mais n’empêchent pas de sentir les sentiments profonds qui unissent ces trois êtres.
Ce qui m’a le plus touché c’est la force et la fragilité de cette femme, épouse tiraillée entre un mari brillant qu’elle admire et qu’elle aime, auquel elle est reconnaissante mais dont elle a du mal a supporter les crises de paranoïa et les maîtresses "sa poule a été logée et nourrie chez moi" dit-elle à Georges et son amour impossible pour son beau-frère.
Ses sentiments pour Georges sont sans espoir, pourtant à aucun moment l’homosexualité n’est clairement évoqué et on peut se demander si Veza en avait connaissance lorsqu’elle se montre jalouse des éventuelles rencontres féminines que Georges pourrait faire ou si inquiète comme peut l’être une femme amoureuse, elle prêche le faux pour savoir le vrai.
Chaque missive commence par des mots d’amour, passant du " Très cher Georges » à « Mon Georges bien-aimé ", le secret gardé sur leurs échanges l’autorise même à passer à des noms plus doux, plus amoureux : Cher chevalier, mon benjamin, cher ennemi, mon adoré...Elle lui confit ses tourments, ses espoirs ou ses lectures.
Mais il ne faut pas se tromper, elle aime Elias Canetti d'un amour quasi maternel, elle l'appelle souvent "le petiot" et elle est le ciment qui maintien unis les deux frères, elles les aiment chacun à leur façon, " Toute ma vie est fondée sur une compréhension et un amour profonds entre vous deux." c’est cet amour qui lui permettra de surmonter les épreuves de la maladie et un tempérament dépressif.
Les quelques lettres d’Elias nous le montre sûr de son talent, assoiffé de réussite et de reconnaissance, obsédé littéralement par l’argent il émaille sa correspondance de demande incessantes, de plaintes, et de subterfuges pour obtenir des subsides des uns ou des autres.
Le génie et le visionnaire apparaissent également, Elias Canetti très tôt pressent les conséquences de l’arrivée au pouvoir d’Hitler qui s'apprête "à poser sa lourde main sur l'Autriche" et le risque d’une nouvelle guerre.
Enfin l’amour indéfectible qu’il porte à son frère par dessus tous les différents qui les séparent "Adieu, mon bien cher Georges, et que ton océan de tendresse ne s'évapore pas trop vite : je me contenterai même d'un restant de sel, pour peu que tu en glisses dans une lettre et m'en envoies souvent. Ton frère Elias, qui ne s'est pas encore remis de la beauté du mot "frère". "
Cette correspondance éclaire d’un jour particulier cette époque de peur et d’incertitude de l’avant-guerre, des difficultés de l’immédiate après-guerre et de l’exil subit.
Je laisserai le mot de la fin à Elias Canetti qui exprime ce qui imbibe toute cette correspondance "C'est ce sentiment d'amour qui est essentiel, le reste ne compte pas."
Les personnages en photo : successivement Veza, Georges et Elias