Magazine Asie

Un Normand sur Hutchins road

Par Antoinehl

La semaine dernière j’ai eu une révélation: les Normands sont arrivés jusqu’en Inde.
Et leurs gènes perdurent.
Ne vous méprennez pas, amis lecteurs, j’ai une passion sans borne pour la (Haute) Normandie, ne voyez là aucune moquerie, juste une nouvelle expérience dans mon pays d’adoption.

Samedi matin, j’ai du changer mes bombonnes de gaz.
Rien de plus facile me direz vous? Hé bien non, pas en Inde.
Ou plutôt si, à la condition d’être citoyen indien, et de posséder une carte de rationnement, vestige incongru d’un Etat socialiste qui a perduré jusque dans les années 90.
L’autre option, c’est de se débrouiller.
Je suis donc allé dans la rue à coté de chez moi, sur Hutchins road, chez le vendeur d’eau (j’aurais pu aller chez le marchand de poulet ou celui qui vend des légumes, mais je me suis dit que l’eau et le gaz, j’imagine que vous comprendrez, ont une connection plus forte qu’avec les cucurbitacés ou les galinacés.)
Après lui avoir raconté mon problème, il m’a indiqué l’échoppe d’à coté, celle de son frère, vendeur de Chai de son état.
On rappellera que le chai est la boisson nationale de l’Inde, et qu’elle consiste en un thé au lait et aux épices.

Imaginez-vous la scène. Une petite rue, des trottoirs défoncés et devant vous une boutique d’environ trois mètres de large.
Le comptoir est sur une marche, et fait un mètre cinquante de haut. Au dessus de celui ci une vingtaine de boites de plastiques fermées de couvercles rouges renferment des gateaux aux couleurs et aspects improbables.
Il n’y a donc pas moyen de voir l’arrière boutique où cette homme d’une cinquantaine d’années, longue moustache et cheveux poivre et sel a établi son royaume.
A droite des boites se situe une trouée.
On devine par la fumée qui s’échappe de derrière que c’est la place du Chai. Et en effet, contre trois roupies, on a le droit à un verre brulant d’un liquide de couleur café au lait et au gout sucré et épicé.
Un bonheur.

Mais pour en avoir un, il faut demander, poser la monnaie et attendre.
Quelque fois un passant vient discuter en kannada (la langue de l’état du Karnataka dans lequel se situe Bangalore), ou quelques fois en Hindi. Le vendeur de Chai parle, glousse, crache parfois, puis semble vous avoir oublié.
Quelques minutes plus tard, le voila qui verse d’un geste ample le chai dans le verre et le pose doucement devant vous.
Il faut prendre le verre par le haut, qu’il soit en verre ou en plastique, tant le liquide est brulant.

Maintenant qu’on a le verre de Chai dans les mains, et une contenance, il va falloir lui poser la question du gaz.
Première tentative, il parait avoir tout compris, mais s’éloigne doucement dans le fond de la boutique… pour revenir débonnairement servir un autre client quelques instants plus tard.
Et il m’a oublié.

Deuxième tentative.
Cette fois ci, il me demande la marque de mon fournisseur de gaz (pratique quand mes bouteilles sont complètement rouillées) et leur poids.
Je lui dit que je n’en sais rien.
Il repart dans le fonds de la boutique.
Mon premier verre de Chai est fini, j’en commande un nouveau.
Tout d’un coup je crois me souvenir que mes bouteilles viennent de Elf et lui dit. Il me regarde, opine, et va servir un autre client en marmonnant dans sa moustache.

Troisième tentative.
Je repose la question, et il me répond que peut être j’en trouverai en haut de la rue, mais peut être pas… ptet ben qu’oui, ptete bein qu’non…

J’ai décidé d’en rester là et de faire appel aux gens du bureau. La situation s’est débloquée en 20mn.
Mais je ne regrette rien.
Le chai était délicieux.
Et l’Inde est un pays extraordinaire.


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