Comme j'en ai fait la preuve à de multiples reprises sur ce blog, je suis un fervent défenseur de la comédie américaine (et de la nouvelle en particulier) et un des premiers à déplorer le manque d'exposition qu'elle se voit offrir en France. Mais je voudrais aussi essayer d'apaiser les passions et aller au-delà du "c'est quoi ces distributeurs de merde qui ne sont pas capables de reconnaître des chefs d'oeuvre".
Cet été passé sera d'ailleurs un très bon exemple. Ainsi, VERY BAD TRIP (THE HANGOVER), sorti par Warner Bros pour la fête du cinéma sur plus de 250 copies avec une bonne grosse campagne marketing, est un beau succès commercial à plus d'1,5 millions d'entrées. Une bonne raison de croire en l'engouement du public français pour cette nouvelle comédie américaine sans tabou qui fait rire en parlant de branlette de bébés. Une bonne raison de croire également que la sortie de I LOVE YOU MAN par Paramount, un mois plus tard, serait au moins correcte, soit sur au moins 100 copies. Mais non, moins de 30 copies pour la nouvelle comédie du réalisateur de POLLY & MOI qui rejoint donc le rang des comédies américaines sans gloire qui ne franchiront jamais la barre des 10 000 entrées (et encore je suis sympa !).
Une situation qui pourrait paraître absurde mais qui, d'un point de vue purement artistique, s'explique. Les deux films ont beau avoir de nombreux points communs (aucune star "bankable" en France, humour régressif pipi-caca, l'amitié entre hommes comme thème etc.), VERY BAD TRIP et I LOVE YOU MAN ont une différence majeure, à savoir qu'ils n'ont tout simplement pas la même approche comique.
Le premier parle à votre bas-ventre, parle à l'animal qui est en vous, celui qui voudrait baiser, faire la fête, se mettre une taule à longueur d'années. Le film de Todd Philips parle donc un langage universel, celui de votre pénis ou de votre vagin. Rien d'honteux la-dedans. Quand c'est bien fait (comme ici), c'est très salvateur et terriblement efficace. A titre d'exemple, c'était également le langage parlé par les premiers films des frères Farrelly (DUMB & DUMBER, MARY A TOUT PRIX...) qui ont tous bien (voire très bien) marché en France.
Le deuxième, au contraire, parle davantage à votre tête. Evidemment, vous l'aurez compris, ça ne veut pas dire que c'est du Bergman. C'est juste que, contrairement à VERY BAD TRIP, I LOVE YOU MAN tente de dire par la comédie un petit quelque chose sur la société et ses moeurs actuelles (la virilité dans un monde post-féministe, ce genre de choses) - en particulier les moeurs américaines. Tout de suite, c'est moins universel. D'ailleurs, il sera bon de constater qu'un des précédents films de Todd Philips, OLD SCHOOL, abordait justement ce thème et fait partie de ces films ayant connus le sort peu enviable de la sortie mini-riquiqui.
Mais plus généralement, on sait tous très bien que l'humour et la comédie sont difficilement exportables. Aujourd'hui, à l'heure d'Internet, on pourrait croire qu'ils se sont uniformisés, que le monde entier rigole bêtement au mêmes vidéos pourris sur YouTube. Clairement non. Les Français ne rigolent pas aux mêmes blagues que les Américains qui ne rigolent pas aux mêmes blagues que les Français. C'est un fait ! Vous connaissez un équivalent à Mozinor aux USA, vous ? Et on a beau nous faire croire que Thomas Ngijol est le nouveau Eddie Murphy, ce n'est pas du tout le cas. Quant à Will Ferrell, avec ses comédies sportives sur le Nascar ou ses parodies de présentateur télé des 70's, je ne vois pas comment il pourrait s'intégrer à l'humour de la patrie de Stade 2 et de PPDA !
Pourtant, les vannes de Seth Rogen, Adam Sandler, Danny McBride et Will Ferrell vous font rire ! Oui mais elles ne font rire que vous. Elles font rire toujours les mêmes, ceux qui surfent sur Internet plus que la moyenne, ceux qui vont au cinéma plus que la moyenne, ceux qui généralement font preuve d'une plus grande curiosité au quotidien... Et ceux-là, qui savent apprécier les blagues sur la pop culture et reconnaître le second degré d'une blague sur le vomi, ne sont pas si nombreux que ça, en tous les cas, pas assez nombreux pour les distributeurs.
Du point de vue de ce dernier, ces films sont d'ailleurs devenus des casse-tête. Ayant travaillé deux ans à la Fox, je vais ici parler de mon expérience et prendre un exemple qui me semble parlant, celui de DODGEBALL (J'ai participé à l'élaboration de la campagne marketing). Lorsqu'il nous a été présenté, il faut bien avouer que les premières images de mecs qui se prennent des ballons dans la gueule en jouant à la balle au prisonnier n'ont pas fait rire grand monde à la direction. Premier verdict : sortie 10 copies ! Puis il y a eu le succès colossal au box-office américain. Deuxième verdict : OK, sortie normale, on met le paquet. Et voici qu'arrive la sortie française en septembre 2004. Troisième verdict : gros bide, plantage total. Sans pour autant espérer un plébsicite public total, le potentiel était à priori là : une des seules stars comiques américaines bankable en France (Ben Stiller) et un humour bas du ventre (au propre comme au figuré) terriblement efficace. Sauf que... Tout ça ne suffisait pas à combler un second degré totalement incompris par le public Français qui a condamné le film ("la balle au prisonnier, c'est pour les gamins ! C'est stupide", me balancera un étudiant).
Malheureusement, il faut se faire une raison, pour les raisons évoquées au-dessus, c'est le sort qui est réservé à la très grande majorité des comédies américaines sorties décemment en France : Presque tout Judd Apatow (EN CLOQUE, SUPERGRAVE...), tout le Adam Sandler récent, ELFE, MEAN GIRLS et des dizaines d'autres. Dans ce contexte, comment en vouloir à un distributeur américain (Fox, Disney, Universal, Warner, Paramount, Sony). Il reste un business comme les autres, doit payer ses salariés à la fin du mois et doit donc faire des choix. Quand il met le paquet, ça se plante à 80% ! Obligé de sortir au cinéma tous les films par sa maison-mère pour pouvoir les vendre ensuite plus cher aux télés, il opte donc pour ce que l'on appelle dans le jargon "une sortie technique", une sortie sur à peu près 10 écrans qui implique uniquement le département "technique" (d'où son nom) et aucune (ou presque) dépense marketing.
Etant donné que j'habite Paris, je n'ai jamais trop de mal à voir tous ces films mais je peux comprendre la frustration énorme que doivent ressentir ceux d'entre vous qui habitent en province et ne peuvent pas profiter dans les meilleures conditions des chefs d'oeuvre de Will Ferrell (ANCHORMAN, FRANGINS MALGRE EUX, LES ROIS DU PATIN...) et des autres. Mais bon, maintenant, j'espère que la frustration sera un peu plus "rationnelle"...