Pouvez-vous nous parler de vos débuts en Aïkido ? Quand avez-vous
commencé ?
Seiichi Sugano : Je faisais du Judo et puis un jour j’ai vu des photos de l’Aïkido dans un magazine. Cela m’a intéressé et je suis allé au Hombu dojo. C’était en 1957,
j’avais 17 ou 18 ans.
Qu’avez-vous fait ce premier jour au Hombu dojo ?
S.G. : C’était
Kishomaru Ueshiba qui faisait cours ce jour-là. Je lui ai demandé tout de suite d’être uchi deshi. Il m’a regardé et m’a dit qu’il faudrait commencer par s’entraîner pendant un an avant de faire
cette demande. J’ai donc commencé l’entraînement tout de suite.
Comment était l’ambiance au dojo à cette époque-là ?
S.G. : Il faut
savoir qu’à l’époque le seul Aïkido qui existait c’était celui de O’Senseï. Aujourd’hui il y a beaucoup d’organisations, beaucoup de shihan qui ont leur propre style d’Aïkido, mais à l’époque
c’était plus simple. On venait au Hombu dojo sans autre pensée que l’entraînement. D’ailleurs au programme il n’y avait que l’entraînement. Il n’y avait pas d’étude de l’Aïkido, pas de question,
pas de pourquoi, pas non plus de code de l’honneur mal placé. On venait, on s’habillait et on s’entraînait.
Comment était l’enseignement de cette époque ? Etait-ce
dur ?
S.G. : On venait et on pratiquait sans se poser de question. L’enseignement était traditionnel, sans explication. On était obligé de faire attention, de bien suivre tout ce
qui se passait. Cela aiguise les sens, améliore l’attention.
Combien de temps avez-vous étudié au Hombu dojo ?
S.G. : J’y suis resté
pendant six ans. Ensuite j’ai été en Australie pour fonder l’Aïkikaï dans ce pays. Je suis d’ailleurs toujours président de la fédération australienne. Ensuite, en 1979 je suis arrivé en Belgique
où je suis resté 18 ans.
Ah mais vous parlez français alors ?
S.G. : (Rires). Non, non. Quelques
mots, c’est tout. En Belgique il y a trop de langues c’est trop difficile. L’anglais c’est plus simple.
Depuis que vous enseignez, avez-vous noté une évolution dans l’Aïkido
?
S.G. : Oui. Avant les gens venaient pour découvrir ou pour s’amuser. Aujourd’hui le niveau international a monté. Des gens viennent vraiment pour étudier. Lorsque je suis des élèves
pendant plusieurs années, je vois clairement ceux qui viennent chercher autre chose que de la détente.
Vous vivez à New York maintenant. Avez-vous noté des différences de pratique entre les
USA, l’Europe et l’Australie que vous connaissez bien ?
S.G. : Quand il s’agit de l’Aïkido de l’Aïkikaï, c’est à peu près pareil partout. La différence n’est pas entre les pays
ou les continents, mais plutôt entre les différences de compréhension de l’Aïkido, si c’est vu comme un art martial ou non. O’Senseï a cassé le cadre des arts martiaux traditionnels. Il a donné
des principes et la possibilité de sortir du monde martial. L’Aïkido n’est donc pas un art martial au sens classique du terme.
Pouvez-vous m’expliquer ce qu’est l’Aïkido alors ?
S.G. : Tel que me
l’a appris O’Senseï, l’Aïkido est fait pour développer l’amour et la compréhension entre les êtres humains. C’est donc avant tout une philosophie de vie. C’est aussi la raison pour laquelle
l’entraînement n’est pas, ne doit pas être, uniquement technique, mais aussi philosophique. Sinon votre évolution est bancale. Il y a des principes derrière toute la technique et c’est cela le
plus important. Par exemple pendant le stage j’ai dit « Se tenir entre la terre et le ciel ». Je vous donne ça tel que O’Senseï me l’a donné. On ne comprenait pas ce que cela voulait
dire, mais il transmettait, il donnait une information qui était un principe philosophique. A mon tour je transmets, même si vous ne comprenez pas ce que cela signifie. Il faut beaucoup de
pratique pour comprendre le sens de ce principe.
Pour l’enseignement de l’Aïkido, on peut dire qu’il y a trois niveaux :
- - La technique : le maître montre visuellement et démontre physiquement.
- - L’information : le maître donne des informations qui ne sont pas forcément compréhensible.
-
- La compréhension : le maître fait comprendre les
informations.
-
Quelles sont les clés philosophiques pour comprendre
l’Aïkido ?
S.G. : Pour commencer on donne une interprétation trop simple du mot Aïkido.
Aï, union ou harmonie, Ki, énergie. Mais on peut avoir une lecture plus approfondie des kanji et du sens de ce mot. Pour O’Senseï Aïki voulez dire plutôt communication avec les dieux, ou
développement de la personnalité. La pratique c’est avant tout s’élever ensemble. C’est pourquoi l’Aïkido
est différent des autres arts martiaux. Un art martial à la base c’est se mettre en position favorable pour tuer l’autre. Quand on y réfléchis c’est toujours le même schéma d’attaque-défense, ce
qui est assez simple à comprendre. O’Senseï a dépassé ça. Sa technique n’est pas pour tuer. L’entraînement physique et technique en Aïkido n’est pas fait pour devenir très fort, plus fort que
l’autre. C’est juste pour l’avoir dans les mains. C’est comme une voiture qui peut aller à 200 Km/h, mais on roule tranquillement en relation avec les autres sur la route. C’est ce qui explique
que l’Aïkido n’est pas un sport. Enfin ce que je dis, c’est ma vision des choses.
Avec votre expérience et votre niveau aujourd’hui, avez-vous encore des choses à
étudier, des progressions à faire ?
S.G. : Oui ! Je dois continuellement m’entraîner et étudier pour pouvoir continuer à enseigner.
Si demain vous aviez un nouvel étudiant qui arrive dans votre dojo et ne connaît rien à
l’Aïkido, quel serait votre premier conseil ?
S.G. : Je lui dirai juste de faire un essai. A ce moment-là, il n’y a pas d’explication ou de conseil à donner, c’est beaucoup trop
tôt.
Diriez-vous que l’Aïkido est juste une expérience d’enseignement intéressante ou une
façon de vivre ?
S.G. : Pour beaucoup c’est la façon dont on étudie qui fait la différence entre les deux. Chacun tire ce qu’il a envie de trouver, de la technique, de la détente
ou une philosophie de vie. Mais ce n’est pas dans un stage que vous trouverez cette philosophie. Là c’est la joie d’être ensemble.
Avez-vous un message à donner aux lecteurs ?
S.G. : Allez au dojo,
c’est tout.