Broadway dans les années 30, c’est une population singulière aux règles rigides – mais pas les règles de la police. Des individus qui passent, aussi longtemps que possible, entre les mailles du filet. Règlent leurs comptes en famille. Font les jolis cœurs entre deux meurtres. Et s’obstinent à penser que le monde est à leur botte, même quand ils sont au bout du rouleau.
Damon Runyon a été traduit en français dès 1940 (Nocturnes dans Broadway). Il semble pourtant encore à découvrir, à travers des rééditions en poche ou des inédits comme Un job pour le Macaroni. Dix nouvelles qui empestent la fumée et l’haleine lourde, témoignage de mœurs qu’on retrouve dans les grands polars contemporains. La tragédie au quotidien, quand on joue sa vie sur un cheval alors que le tuyau est percé. Jusqu’à laisser une petite fille en gage au bookmaker qui aura avancé deux dollars au mépris de sa rigueur. Jusqu’à faire venir d’Italie un vieux tueur pour se débarrasser d’un gêneur selon la tradition. Jusqu’à tenter – et manquer – le premier hold-up d’un chargement de bière légale après la prohibition.
Les anecdotes sont savoureuses. Le ton aussi, entre l’urgence et le détachement. Damon Runyon est un grand auteur mineur, qui s’efface derrière ses personnages malgré un «je» qui lui ressemble. Un de ceux qui donnent à voir l’ambition démesurée de pauvres types qui s’imaginent posséder une envergure bien supérieure à la leur. Des grandes gueules, en somme, qui lâchent leurs mots comme des balles et leurs balles comme des missiles. Dans leur vie, cela passe parfois à côté. Dans ces nouvelles, jamais. L’épopée ne s’écrit pas avec de hauts faits d’armes, mais à travers le talent d’un écrivain. Damon Runyon fait mouche à chaque reprise et gagne le match par K.O.