Dire de I’m not There, le nouveau film de Todd Haynes, que je l’attend impatiemment est un euphémisme. Parce que Todd Haynes est un cinéaste passionnant.
Parce qu’il aime Douglas Sirk autant que le glam rock. Parce que, surtout, je viens de lire la biographie de Bob Dylan écrite par François Bon et que le film de Todd Haynes pourrait en constituer
la fort pertinente coda.
Après le livre de Greil Marcus intégralement consacré à la chanson Like a Rolling Stone, après No Direction Home, le foisonnant documentaire de Scorsese sur Dylan, après la
somptueuse réédition du Dont Look Back de Pennebaker en dvd, le livre de Bon vient clore (provisoirement) deux années ponctuées de parutions remarquables pour qui s’intéresse à Robert
Zimmerman.
La deuxième incursion de François Bon en terres de rock’n’roll est peut-être plus convaincante encore que la somme qu’il publia sur les Rolling Stones il y a cinq ans. Bob Dylan est en effet un
personnage de roman idéal, un être autour duquel le réel est fluctuant, indéfini. Si Rolling Stones, une biographie se nourrissait de faits avérés et d’une mythologie assez classique, la
figure de Dylan intrigue et stimule beaucoup plus. Le livre de Bon est ainsi, en partie, une sorte d’enquête au cœur des innombrables écrits et témoignages que l’on a déjà pu lire ou entendre sur
Dylan. Entreprise critique, donc, plutôt que bio officielle. Et c’est heureux.
D’habitude, je n’aime pas lire des biographies. Il y manque le frottement de la fiction, il y a là-dedans un côté scolaire et scrupuleux qui, souvent, étouffe la littérature. Avec Bon, c’est
différent, car lorsqu’il évoque les Stones, Dylan ou Led Zeppelin (ce qu’il fit dans un feuilleton radiophonique de haute volée), il parle en creux tout autant de lui, de ce que cette musique,
surtout, représenta pour les jeunes de sa génération en France ("C’est soi-même qu’on recherche").
Ce qui se dégage de la lecture, c’est surtout, donc, que Dylan est insaisissable, que les livres ne réussiront jamais à donner de lui une image univoque. Car Dylan est d’abord un mythe, une
figure en laquelle s’agrège toute une histoire de l’Amérique et de la contre-culture. Un homme aussi qui ne se reconnut pas forcément dans le rôle que l’on voulut, un temps, lui faire jouer.
Je ne l’ai pas encore vu, mais le film de Todd Haynes semble bien partir lui aussi de ce postulat, de cette impossibilité de raconter Dylan en se contentant de suivre le simple fil biographique.
D’où le recours – logique – à plusieurs comédiens pour interpréter autant de Dylan, ou plus précisément d’avatars dylaniens. La phrase d’accroche de la bande-annonce le déclare sans
ambages : les biographies de Dylan, ses Chroniques même, sont truffées de mensonges, d’exagérations de toutes sortes. Tandis que défilent les premières images, on pense à cette
phrase célèbre prononcée par James Stewart dans L’Homme qui tua Liberty Valance ("Si la légende est plus belle que la vérité, alors imprimons la légende").
Finalement, c’est d’abord Dylan qui a écrit son propre rôle, se construisant au fil du temps en personnage fictif (la généalogie qu’il s’invente à ses débuts, l’épisode de l’accident de moto de
juillet 66 très largement exagéré…), jusqu’à être dépassé par celui-ci et par ce que les auditeurs investissaient en sa personne.
Dans Bob Dylan, une biographie, il y a ainsi ce passage où Bon s’attarde sur l’arrivée du jeune Dylan à New York, seul sous la neige, guitare sur le dos (« Telle est la
légende : New York, le 24 janvier 1961, ses vingt ans dans quatre mois. Du vent sur la ville, de la neige. Une voiture s’arrête venue de Madison, et deux jeunes types en descendent,
remercient le chauffeur. L’un a une guitare à la main. »). L’image est belle, si belle. Elle contribue, entre autres climax du livre, à l’édification de Dylan en archétype. Pourtant, la
légende, Bon la tient à distance. Il la commente, la critique, la pousse dans ses retranchements. Et ce sont ces contradictions flagrantes qui finalement rendent encore plus passionnant le
personnage de Dylan.
Il y eut plus tard Bowie et ses masques, tous les personnages qu’il joua au fil de ses albums. Le premier avatar, Ziggy Stardust, il le tua, signe qu’il contrôlait tout, et notamment le passage
d’un personnage à un autre. Avec Dylan, rien de tout cela. Quand Bowie est pure fiction, Dylan est vacillement. Dépassé toujours par les incarnations qu’il s’invente… Sait-il lui-même qui il
est ? "All I can do is be me. Whoever that is", dira un jour celui qui acteur dans Pat Garrett et Billy le kid, le chef-d'oeuvre
crépusculaire de Sam Peckinpah, s'y faisait de manière très significative appeler Alias...
Qu'importe, au fond ? N’est-ce pas ainsi que l’on préfère rêver Dylan ?
Dossier Dylan à lire sur le blog de François Bon, ici
Ci-dessous, la bande annonce de I'm not There (sortie en France le 5 décembre 2007)