Tanguy

Par Grocher

 Tout va pour le mieux chez Paul et Edith Guetz, les heureux parents d'un adorable petit Tanguy, tellement adorable que le couple attendri se laisse aller à déclarer : ' Tu es tellement mignon, si tu veux tu pourras rester à la maison toute ta vie... " Les parents ne pensaient pas si bien dire car le problème se corsera beaucoup plus tard, vingt huit ans après! En effet beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis ces paroles prémonitoires et notre brave Tanguy habite toujours chez ses parents. Il est vrai que le brave garçon se montre brillant au cours de ses très longues études de philo, il prépare maintenant  une thèse de chinois et des études aussi poussées durent longtemps, très longtemps ce qui fait que Tanguy se complaît dans son cocon familial au grand désespoir de ses parents. Il en advient que tout le monde adore le séduisant et gentil garçon dévoué comme quatre, sauf, bien sûr, Paul et Edith qui envisagent même les moyens les plus extrêmes pour se débarrasser de ce véritable crampon qui a de plus différé sa thèse d'un an ce qui rend le climat encore plus insoutenable !

Qu'il est sympa ce Tanguy; c'est tout à fait le genre de gamin, si l'on peut dire, à provoquer un ulcère à l'estomac à ses pauvres parents et d'ailleurs Edith est bien partie pour! Deux sortes d'enfants vivent  leur cadre familial: ceux qui ont envie de voler de leurs propres ailes au plus vite et ceux qui se complaisent à rester auprès de leurs parents le plus longtemps possible. Tanguy fait partie de cette catégorie d'"enfant" un peu âgé, n'envisageant pas de prendre de risques dans sa vie d'adulte. Tout est bon pour rester à la maison: ses parents ont beau le rabrouer, lui infliger des paroles et des actes vexants, rien n'y fait ! Tanguy leur voue une confiance et un amour aveugle et tente de les attendrir le plus  naturellement du monde à grands coups de: " Je t'aime maman ! Je t'aime papa !" Le grand garçon est désarmant pour Paul et Edith qui ne s'attendaient pas à autant de sollicitude de la part de leur gamin. Eux qui rêvaient de connaître à la cinquantaine un peu plus d'intimité pour se retrouver, pour apprécier encore quelques bons moments d'insouciance : c'est fichu ! Tanguy est capable de tout encaisser, de se soumettre, de se révéler surprenant dans les tâches ménagères, bref les parents ont couvé leur fils, c'est maintenant Tanguy qui les couve. Tanguy est partout même s'il n'est pas là, il est devenu  une obsession et un instrument de discorde pour ses parents. La vie ménage parfois des surprises, même les plus inattendues car le chinois, outre la thèse, peut apporter aussi l'amour. Reste à savoir si Tanguy supportera plus tard des enfants aussi envahissants que lui... 

Cette quatrième réalisation d'Etienne Chatiliez confirme son penchant pour un humour assez sarcastique. Des faits de société qui se voudraient tout à fait banaux se transforment en conflits imparables avec leur lot d'observation d'une société remplie de contrastes. Les gentils et les méchants se livrent une lutte sans merci qui arrive à nous faire supposer que les uns ne sont pas tout noirs et les autres tout blancs. Tanguy paraît gentil tout en devenant le bourreau de ses parents et ses parents, apparemment très cyniques vis à vis de leur fils, sont en fait des sacrifiés, sacrifiés à supporter à jamais ce gamin qui, au travers de ses apparences,  recherche peut être involontairement son bien-être sans se soucier de celui des autres. Ce film est donc remarquable avec son intrigue pleine d'ambiguïté et son humour grinçant. Cette histoire est certainement  la juste description d'un fait de société d'où le succès considérable de cette réalisation. Un trio inoubliable d'acteurs forme cette famille Guetz. Les parents "torturés" interprétés par André Dussollier et Sabine Azéma vous décrivent avec humour et cruauté leur chemin de croix passant par la colère froide et enfin la haine envers celui qui bouleverse les projets de tranquillité et de plaisir à deux. Tel un funambule Eric Berger dans le rôle de Tanguy passe par là, ne se souciant et ne se rendant compte de rien. Il fait partie de la maison comme un vieux meuble qui menace de s'écrouler si on le déplace, alors personne ne sait comment le manipuler et toutes les méthodes utilisées tombent à l'eau. Ce film  est donc attachant et plein de bonnes réparties  pour le bonheur des cinéphiles.        

Voici donc une oeuvre qui restera dans les mémoires. Le succès public qu'elle remporta lors de sa sortie en salle fut une preuve immuable de l'originalité et de l'actualité de son sujet. Cela nous prouve qu'Etienne Chatiliez est un très grand metteur en scène atypique et ouvert sur certains petits  travers de notre société.