Renée Michel est concierge dans un immeuble cossu d'un quartier chic de Paris où vivent des familles aisées. Cette femme solitaire, au physique ingrat et à l'allure négligée, ressemble à une automate en effectuant ses tâches routinières, et pourtant.... Renée cache un secret dans la pièce au fond de sa loge toujours bien fermée. Celle-ci renferme en fait des livres, beaucoup de livres car Renée est une passionnée de littérature et en particulier de Tolstoï. Dans l'un des beaux appartements de l'immeuble, Paloma, une petite fille de onze ans d'une rare intelligence, quelque peu impertinente et à l'instinct suicidaire, passe une bonne partie de son temps à filmer avec une caméra tout ce qui l'entoure. Ainsi les moindres faits et gestes sont captés par la lorgnette. En fait elle tente de survivre au sein d'une famille riche entre une mère dépressive se gavant de toutes sortes de cachets, un père qui exerce de hautes fonctions qu'il privilégie par rapport à sa vie familiale et une soeur ne désirant surtout pas ressembler à sa mère. Au milieu d'une telle ambiance, la petite fille trouve refuge dans la loge de Renée. Pourtant un beau jour le destin va basculer pour la concierge et Paloma: un nouveau copropriétaire emménage. Monsieur Ozu est japonnais, veuf et très riche. De plus il voue une passion sans borne pour la littérature. Il vient chercher ses clés à la loge et fait donc connaissance avec Renée...
De prime abord faut-il se fier à l'aspect, aux activités et au standing des gens que l'on rencontre ? Les riches sont-ils forcément plus heureux que les pauvres dans leur vie quotidienne ? Pas forcément et pour le démontrer l'histoire va mettre en parallèle l'existence de trois personnages diamétralement différents et opposer l'image et les à priori que nous sommes susceptibles d'avoir vis à vis des différentes classes sociales. Le "Hérisson", c'est bien sûr Renée. Sa loge est sinistre dans ce bel immeuble. Les gens ne font pas attention à cette personne qui paraît revêche et montre une carapace pleine de piquants alors que sa vraie personnalité est le contraire de cette apparence. Renée est discrète et n'ose pas se mêler aux "riches" lesquels d'ailleurs la dédaigne. Pour elle, son look qui ne l'avantage pas est naturel, c'est celui d'une concierge dont le décès du mari quelques années plus tôt n'avait soulevé aucune émotion dans l'immeuble car pour ces gens là, il n'était pas de leur monde. Et pourtant cette femme est ô combien attachante. Elle aussi est capable d'aimer les livres et se plonger dans les écrits de Tolstoï dont elle connaît l'oeuvre par coeur. Elle aime tellement cet écrivain qu'elle a nommé son bon vieux chat Léon en hommage à un héros de roman de l'auteur russe. Dans cette pièce du fond de la loge se tient la "Caverne d'Ali-Baba" de Renée. C'est quelques marches plus haut que nous retrouvons une petite gamine, Paloma, vivant au sein de sa richissime famille. Ici on ne plaisante pas non plus. La mère n'a pour cadre de vie que son psy et ses traitement soi-disant bienfaiteurs et ses plantes vertes avec lesquelles elle entretient plus de conversations qu'avec sa fillette. Les pensées du père sont ailleurs et l'éducation ne figure pas dans ses attributions de haut dignitaire. Quant à la grande soeur, elle ne veut surtout pas ressembler à cette mère "absente" et n'a visiblement pas envie de rester dans ce foyer. Paloma filme à longueur de journée son environnement qu'elle compare à un bocal dans lequel "survit" un pauvre poisson rouge qui, prisonnier de son récipient, tourne désespérément en rond. Paloma veut sortir de son "bocal" et pour cela, elle n'a trouvé qu'une solution: se suicider le jour de son anniversaire. Afin de compter les jours qui lui restent à vivre, la fillette a conçu un calendrier sur lequel elle rempli chaque journée une case en dessinant des arabesques significatives. Le compte à rebours a ainsi commencé. Puis, à la suite du décès de l'un des occupants de l'immeuble, arrive à la loge Monsieur Ozu qui n'a rien à voir avec le cinéaste, mais qui est autant épris de littérature et de cinéma que Renée. Monsieur Ozu est très courtois, très élégant et plein de finesse. Lui aussi connaît la solitude. A-t-il réussi à l'apprivoiser ? Certainement pas malgré les apparences. Tout de suite, par son sens de la psychologie, il va deviner la détresse et l'intelligence de Paloma et cerner les complexes mais aussi les immenses qualités intérieures et intellectuelles de Renée. Et puis Monsieur Ozu et sa concierge sont imprégnés de Tolstoï ce qui n'est pas rien pour ces deux solitaires. Le nouvel arrivant va petit à petit "apprivoiser" Paloma et Renée. La fillette va sortir de son "bocal" et ne plus s'identifier au poisson rouge en venant se réfugier dans la loge et en parlant quelques mots de japonais avec Monsieur Ozu qui, lui, l'écoute et lui porte de l'intérêt. Cet homme va faire entrer Renée par petites touches successives dans son univers. Elle trouvera d'abord déplacé qu'une personne de son rang modeste soit invitée chez un riche copropriétaire, puis l'intérêt pour le cinéma et la littérature l'emportant, Renée trouvera un beau refuge "en tout bien tout honneur" avec cet homme raffiné. La concierge petit à petit se métamorphose et, comme les autres de son immeuble, devient une dame "respectable et fréquentable". Malgré tout, le coeur du petit "hérisson" est resté le même. Paloma va également apprendre à se découvrir. Bien sûr, c'est un joli conte, mais la vie restera-elle aussi tendre avec ceux qui rêvent d'un bonheur aussi imprévisible ?
En découvrant ce film assez énigmatique, librement inspiré du roman de Muriel Barbery "L'élégance du hérisson", on a peine à croire que Mona Achache réalise là son premier film tant elle fait preuve d'une maîtrise avérée en traitant d'un sujet aussi complexe. La mise en scène est sobre, originale et suffisamment efficace pour nous présenter un monde désespéré dans lequel la vie peut être aussi terne dans une loge de concierge que dans un loft luxueux. Chaque personnage vit dans une bulle dont l'hermétisme ne résiste pas à ceux qui, malgré leur solitude, ont encore un peu d'amour à donner et un peu de résistance à livrer contre un monde convenu, uniforme où chacun reste à sa place pourvu que ressortent les apparences. Mona Achache apporte beaucoup de soin et d'affection pour décrire ces personnages en proie à la monotonie et aux rituels de leur existence. Dans ce domaine, Josiane Balasko est émouvante à souhait. Elle se dégoûte avec ses cheveux gras en bataille ses savates qu'elle traîne sur le carrelage en sortant ses poubelles tout en disant quelques mots au pauvre type qui squatte le local. Elle n'hésite pas à déclarer au plus fort de son fatalisme "le matin au réveil j'ai une haleine de mammouth". Josiane Balasko est imprégnée par ce personnage dont la carapace va se diluer pour s'ouvrir à la vie. Garance Le Guillermic est une gamine surprenante qui crève l'écran par sa subtilité dans l'interprétation d'une enfant surdouée et parfois têtue et effrontée. Elle aussi est en lutte pour sortir d'une bulle sans trouver une autre solution que la mort. Personnellement j'ai donc trouvé cette jeune actrice formidable, aussi formidable que Togo Igawa dans le rôle de Monsieur Ozu. Cet acteur qui a réussi l'exploit d'apprendre son texte phonétiquement en français se montre plein de délicatesse, de retenue et de sensibilité dans son personnage d'homme fortuné maquillant les malheurs de sa vie par sa dignité et sa compréhension envers son prochain. Parmi les autres acteurs, tous excellents, il m'est difficile de ne pas mentionner la performance d'Ariane Ascaride, celle qui "ose" fréquenter assidûment Renée et la conseiller en supportant son fatalisme.
Lorsque je "goûte" un tel film, je ne peux m'empêcher de penser qu'au niveau du talent de nos réalisatrices et réalisateurs français la relève se porte bien. Dans le cas présent, aborder un sujet aussi délicat avec autant de subtilité pour un premier film prouve que Mona Achache s'ouvre un grand avenir dans le métier. Dans le climat pesant qu'elle nous décrit, elle parvient à nous émouvoir, à nous interroger sur le sens de la vie mais également à nous faire parfois sourire. Ce film est excellent et mérite sans aucun doute le succès. Il y a donc fort à parier qu'à son prochain rendez-vous, cette réalisatrice nous conviera à une autre très bonne surprise.