Beaucoup d’éditeurs qui ne parviennent pas à se faire éditer se consolent en mâchonnant le vieux leitmotiv :
en édition, hors du piston, point de salut ! Pour être publié, il FAUT (cf billet récent) :
- venir d’un sérail : Normale Sup, Sciences Po, journalisme, show-biz, people, famille en vue, ou bien sûr avoir un parent travaillant dans l’édition.
- connaître une relation bien placée dans les milieux de l’édition, de l’écriture ou de la critique, qui poussera votre manuscrit auprès des éditeurs
- avoir un physique avenant et ne pas hésiter à plier ce physique aux caprices libidineux des directeurs de collection
- écrire des histoires très intimes, très scandaleuses, ou honteusement défalquées de romans à succès - habiter Saint-Germain-des-Prés
- fréquenter les fêtes, cocktails et pince-fesse de l’édition
Tout n’est pas faux dans cette idée
fixe. Ce qui est faux, c’est qu’elle soit toujours vraie. Mais il me paraît normal que les candidats à l’édition ayant dans leur cartable un ou plusieurs de ces atouts passe
devant (cela n’empêche pas qu’on puisse passer derrière).
- Il est normal que les anciens élèves de Normale Sup soient, a priori, considérés comme des meilleurs candidats que la moyenne : ils sortent d’une école où l’on a plongé dans la littérature
pendant 2, 3 ou 4 ans de khâgne, avant d’affronter un concours où la qualité d’expression compte pour beaucoup. Si je dois faire soigner mon chat, c’est pareil, je serai plus rassuré par un type
diplômé de l’Ecole Vétérinaire de Maisons-Alfort.
- Il est normal qu’un éditeur soit, a priori intéressé par un manuscrit signé par un type du show-biz. Cela ne voudra pas dire qu’il sera bien écrit, mais qu’il sera bien vendu : l’auteur est
connu, le lecteur achètera en espérant quelques confidences de salle de bains. Et l’auteur fera plus aisément le tour des télés pour en parler.
- Il est normal qu’un candidat bénéficiant d’un appui dans les milieux de l’édition soit, a priori, considéré comme plus intéressant qu’un autre lambda : cela signifie qu’il a pu montrer son
manuscrit à une personne compétente, qui l’aura lu, qui aura suggéré des modifications, qui aura jugé le texte présentable (les « gens bien placés » seraient très vite mal placés, s’ils se
mettaient à recommander n’importe quoi.)
- Il est normal qu’un physique avenant soit préféré à une sale gueule patibulaire : mettez deux inconnus, l’un avenant et l’autre patibulaire, l’un à côté de l’autre dans un salon du livre. A
votre avis, lequel dédicacera le plus ? Lequel sera le plus facilement invité par la télévision locale ? C’est triste, mais c’est comme ça. Quand j’arrive à la Journée Sciences Po du livre, en
compagnie de Florian Zeller, je sais que les cris d’extase des groupies seront pour lui, pas pour moi. Si vous êtes celle qui a poussé les cris d’extase pour moi, faites-vous connaître, que je
vous embrasse.
- Il est hélas normal que les histoires très intimes, très scandaleuses, même défalquées de romans semblables précédemment parus, soient jugés intéressants, à condition qu’elles soient encore
plus intimes, encore plus scandaleuses. La turpitude et le voyeurisme n’ont de limite que celles que se donnent les auteurs. On a les lecteurs qu’on peut, on les attrape par où l’on peut.
On peut préférer les lecteurs férus de littérature (c’est mon cas), mais ils sont plus exigeants.
- Il est normal qu’on veuille habiter Saint-Germain-des-Prés si l’on souhaite publier : on y rencontre plus facilement des écrivains connus. On peut même y nouer des amitiés. J’ai longtemps
habité ce quartier. Je dînais fréquemment en face de Pierre-Jean Rémy, aux Ambassadeurs. Je faisais mes courses le dimanche matin en même temps que Romain Gary à l’ancien petit marché du haut de
la rue du Bac (il achetait plutôt des carottes et des champignons, et moi des légumes verts). Il m’aurait été aisé d’entamer une conversation. Mais à l’époque, je ne fréquentais que les
publicitaires. Tttt, que d’années perdues !
- Il est judicieux de perdre son temps dans les fêtes et cocktails littéraires : on y rencontre des tas de gens très intéressants si l’on ambitionne de faire partie du paysage littéraire. Des
candidats-auteurs avec qui vous pourrez échanger vos projets, des auteurs qui pourront vous conseiller, des journalistes qui pourront vous donner des points de vue sur vos manuscrits. Vous y
entendrez des échos passionnants sur les nouveaux directeurs littéraires, sur les changements de cap des éditeurs. Je ne fréquente pas ces pince-fesses, mais, à un niveau très inférieur, je suis
souvent allé aux remises des prix , à l’époque des concours de nouvelles. C’était parfois obligatoire si l’on voulait repartir avec le chèque bien mérité. Le buffet était souvent maigre,
l’assistance aussi. Mais j’y ai noué des connaissances, des amitiés entre auteurs, qui me sont chères. Nous continuons à correspondre, et même parfois à nous entraider.
Imaginez maintenant un candidat-auteur qui réunisse tous ces atouts. Avec le mal qu’il se donne pour cela, il est normal qu’on lui donne la
priorité. L’important, c’est qu’il ne prenne pas toute la place, c’est qu’il en laisse aux ploucs comme moi qui arrivent derrière avec un carnet d’adresses ou un livret de famille
aussi décourageant que leur physique.
Or il y en a. Oui, il y a des places à prendre quand on arrive chez l’éditeur (chez presque tous), inconnu, présenté par la poste, caché dans
une grande enveloppe kraft. Il y a une place à prendre, encore faut-il savoir l’occuper. On en parlera dans quelques prochaines rubriques.