Amour et poésie ont souvent fait mauvais ménage parce qu'on les a trop souvent associés. Lyrisme, plaintes, chants doucereux... la poésie accueille difficilement le sentiment amoureux avec justesse car elle semble s'y prêter trop facilement. Darwich renouvelle le genre du ghazal. En arabe, ghazal signifie "conversation avec une femme". La profondeur de ces conversations tient à la diversité des temps évoqués, à l'épaisseur temporelle du recueil qui évoque parfois l'amour avec nostalgie. L'instant et le souvenir s'y mêlent. Ces poèmes d’amour qui disent " l’exil de la femme dans l’homme et de l’homme dans la femme ". L'expérience singulière de l'amour devient alors un hymne à la femme. Darwich, c'est la poésie sans trucage, sans expressions bien ficelées. Le lit de l'étrangère parle aussi pour nous tous. D'une parole concrète, vraie, pure et redoutablement franche.
JE N’AI ATTENDU PERSONNE
Je saurai, quoique tu partes avec le vent, commentTe ramener. Je sais d’où vient ton lointain.Pars donc ainsi que les souvenirs vers leur puitsEternel, tu n’y trouveras pas la Sumérienne portant une jarrePour l’écho et t’attendant.Quant à moi, je saurai comment te ramener.Pars donc derrière les flûtes des vieux peuples de la mer etLa caravane du sel dans son périple infini. Et pars,Ton chant s’échappe de moi, de toi et de mon temps.Il cherche un nouveau cheval qui fasse danser sa cadenceLibre. Tu ne trouveras pas l’impossible assis t’attendant, comme au jour oùJe t’ai trouvé, où je t’ai enfanté de mon désir.Quant à moi, je saurai comment te ramener.Et j’irai avec le fleuve d’un destin àUn autre, car la lune est prête pour te déracinerDe ma lune et sur mes arbres, les paroles dernières sont prêtesA tomber place du Trocadéro. Retourne-toiPour trouver le rêve et parsDans n’importe quel orient ou occident qui te lestent encore d’exilEt m’éloignent d’un pas de mon lit et de l’unDes ciels de mon âme triste. La finEst sœur du commencement. Pars et tu trouveras ce que tu as laisséIci, t’attendant. Je ne t’ai pas attendu et je n’ai attendu personne.Mais je devais, comme toutes les femmes solitairesDans leurs nuits, coiffer mes cheveuxLentement, gérer mes affaires, briserSur le marbre, le flacon d’eau de Cologne et interdire à mon âmeDe s’occuper d’elle-même, l’hiver.Comme si je lui disais : Réchauffe-moiEt je te réchaufferai, ô mon épouse, et prends soin de tes mains.Que leur importe la descente du ciel sur terreOu le voyage de la terre au ciel ?Prends soin de tes mains, qu’elles te portent – tes mains sont tes maîtresses, disait Eluard … – ParsJe te veux et ne te veux pointJe ne t’ai pas attendu, je n’ai attendu personneMais je devais verser le vinDans deux coupes brisées et interdire à mon âmeDe s’occuper d’elle-même en t’attendant !Le lit de l'étrangèreTraduit de l'arabe (Palestine) par Elias Sanbar82 pagesTitre original : Sarîr al-gharîbaEditeur original : Riad El-Rayyes Books Ltd, 1999Arles, Actes Sud, 2000 Des extraits sont disponibles sur:http://mahmoud-darwich.chez-alice.fr/lit_etrangere.html