Je l’ai déjà dit à de multiples reprises sur ce blog : la différence entre la droite et la gauche, tout particulièrement en France, se réduit de jour en jour. Ainsi, alors que l’UMP devient une véritable auberge espagnole où l’on trouve de tout et où ses « mouvements » ratissent de plus en plus large, le PS, par un jeu subtil et pas du tout prévisible d’alliances et de petites contorsions intestinales, se lance à l’assaut d’un centre trop content de lui tomber dans les bras…
Pour de la cuisine, c’est de la cuisine.
A droite, c’est, clairement, le pot-au-feu traditionnel qui domine : on mélange tout dans une grande casserole recouverte, on laisse mijoter à feu doux jusqu’à, mettons, 2010 et les régionales, et hop, voilà un plat roboratif qui saura amener la France sur les sentiers fleuris d’une gestion saine et vigoureuse. Moyennant quoi, il faudra se cogner les couinements conservateurs et les recyclages douteux de Villiers, ou aménager les programmes pour tenir compte des lubies des chasseurs, pêcheurs et autres naturistes traditionnels.
A gauche, on est plutôt confiserie : on fait dans la guimauve, dans le mou, le collant, le sucré et le coloré. Il y a de multiples parfums, mais tout semble se diriger vers de grandes embrassades en famille, avec papouilles forcées et appels du pied coquins vers les petits camarades du centre. Ces derniers, oubliant l’aspect passablement douteux de la promise cuitée, tripotent avec concupiscence ses parties charnues en espérant bien pouvoir profiter de l’union, aussi improbable soit-elle, pour faire un score aux régionales. Le risque de MST (mouvements séditieux tardifs) ne semble effleurer aucun des deux partenaires du couple invraisemblable : ventre affamé n’a pas d’oreilles dit-on, et vu la disette électorale qui règne tant chez l’épousée que chez l’époux, autant y aller carrément.
A première vue, rien ne semble rapprocher les manœuvres des uns et des autres. Les petits bisous secs d’un MPF tristounet sur les grosses joues rebondies de l’UMP ne rappellent que difficilement les patins humides et baveux échangés entre le PS et le Modem.
En réalité, on assiste réellement aux premiers mouvements tactiques dans la mise en place des empoignades viriles qu’on devine déjà pour les prochaines échéances électorales. Pour les politiques de ce pays, c’est en effet limpide : les régionales constitueront un baromètre fidèle de la bonne tenue des alliances qui se nouent actuellement. Alliances qui sont entièrement affûtées en vue des présidentielles de 2012.
C’est une des raisons pour lesquelles le PS, toujours complètement perdu dans un brouillard stratégique épais comme de la mélasse, se lance dans la vaste blague de primaires détendues dans lesquelles on sent déjà de multiples opportunités pour un étripage des familles : il faudra un chef. L’avantage politique de ces primaires reste encore très hypothétique quand on se rappelle à quel point élire une première secrétaire fut rocambolesque. Gageons que le candidat socialiste de 2012 – si le parti existe encore à ce moment là – sera élu démocratiquement dans la même sérénité que celle qui présida à l’intronisation d’Aubry il y a quelques mois. En bref : le bloggueur politique a de beaux jours devant lui.
Côté UMP, évidemment, on n’aura pas ce souci : culte du chef oblige, tout le monde fermera gentiment sa gueule en attendant qu’un homme providentiel émerge, à moins bien sûr que Nicolas se décide à le devenir, pif paf comme ça, d’un coup… On n’est pas à l’abri d’un nouveau malaise vagal, après tout.
Au final, si la forme des manœuvres change, le fond, lui, reste le même : toutes nos élites politiques se sont tendues, comme un seul membre turgide homme décidé, vers ce but grandiose de 2012, tout en tenant compte de l’étape de ravitaillement de 2010.
Pour tout le monde, c’est in ze pocket : il faut se concentrer sur l’avenir, le présent n’est plus aux atermoiements d’autant que, tout le monde le dit, la crise est finie. On va bien emprunter plus pour dépenser plus, mais pour le reste, Lagarde veille et ne se rend pas, donc tout va bien et tout ira de mieux en mieux.
Oui mais voilà : si le futur est plein d’avenir, le présent n’en est tout de même pas complètement dispensable.
D’une part, les fondamentaux économiques ne sont toujours pas bon. On nous parle, partout, de signes positifs, de reprise, d’élan économique retrouvé ou d’une croissance qui revient, mais à la base, rien n’a été solutionné : les emprunts à risque, outre-atlantique, ne sont toujours pas apurés, et les faillites bancaires continuent toujours avec un rythme alarmant. Pendant ce temps, et dans le calme feutré d’une presse baignée de subventions que le monde entier nous envie, la ville de Grigny se retrouve pour ainsi dire sous curatelle, avec tous les signes que cette ville ne soit bientôt plus la seule, tant dans le département qu’au niveau national.
Autrement dit : non, la situation n’est pas rose du tout, la crise n’est pas finie, et ce qui nous attend donne l’impression de tourner à la balade champêtre à ramasser des châtaignes radio-actives et des champignons vénéneux qui se terminerait par un pique-nique bucolique au milieu d’une nuée de zombies affamés.
Et cette constatation, je suis persuadé que nos zélites pensantes l’ont déjà faite. Mais, détachés de la plèbe et des contingences matérielles, ils continuent d’avancer vers leurs objectifs futiles sans tenir compte des obstacles qui s’amoncellent.
Pourquoi, en effet, le PS, dont la stratégie a permis de progresser à pas de géant dans la définition du mot « opaque », s’occupe-t-il actuellement de savoir comment sera désigné le candidat en 2012 ? N’y a-t-il, dans l’actualité, aucune opposition constructive à tenter ? N’existe-t-il pas matière à hurler quand on voit la façon dont les libertés essentielles, le pouvoir d’achat et le niveau de vie des Français sont rognés sportivement à la varlope du gouvernement ?
En lieu de quoi, nous avons la mère Aubry qui sort ses petits crocs de gerboise et dégaine… un article dans le Monde dont le seul effet tangible est de déclencher un bâillement chez le lecteur, assoupissement provoqué par l’utilisation téléphonée des vieilles scies socialistes poussiéreuses à base de Jaurès, de Braudel, et de pincées de Castel, ainsi qu’un re-sucé fadasse d’envolées lyriques écologiques sur le mode « Tous Ensemble Gna Gna Gna On Peut Y Arriver ». C’est absolument pathétique.
De l’autre côté, pourquoi l’UMP, dont la stratégie a permis de progresser à vigoureuses enjambées sur les livraisons de pizzas à domicile, la branchitude, le strass, les paillettes, la peopolitisation, et une inventivité fiscale retrouvée, ne s’est-il pas déjà emparé des problèmes réels de la vraie vie pour, par exemple, au hasard et sans aucune référence à un programme présidentiel quelconque, diminuer les taxes et ponctions, augmenter factuellement le pouvoir d’achat des Français ? Qu’est-il advenu des principes de gouvernement concentré, aux membres peu nombreux ? Quelles réformes tangibles le parti majoritaire peut-il réellement se targuer d’avoir menées à bien sans avoir transformé un projet pas trop timoré en lavasse fade ou pusillanime ?
En lieu de quoi, on nous sert une myriades de bricolages et d’effets d’annonce, de moulinets fiévreux et de gesticulations péremptoires. En lieu de quoi, on nous refile de l’HADOPI, un troll et du charabia. En lieu de quoi, nous avons des petites combines, des petites alliances, de sympathiques petites stratégies pour un lointain 2012, date à laquelle, soyez-en sûr, le moutontribuable aura bien vite oublié qu’il a été tondu jusqu’au cuir pendant de longues années.
Le constat est sans appel : en France, à présent, c’est certain, les convictions ne jouent plus aucun rôle, les idées politiques n’ont plus la moindre importance. A « droite » comme à « gauche », on se mélange de bon ou de mauvais gré dans le gros parti qu’on estime devoir gagner, et, en échange de quelque poste, on oublie bien vite ses opinions. Les choix politiques s’effacent au profit des appétits individuels.
Et le regard rivé vers l’horizon, l’élite politique trottine sans voir les lourds tapis dans lesquels ses pieds se sont pris.
Plus dure sera la chute.