Dans un billet printanier j'avais exposé l'intérêt qu'il y aurait à instaurer une taxe de
libre-échange.
Cette taxe a l'avantage de représenter une voie moyenne entre un protectionnisme qui n'a pas de doctrine (Todd propose la création d'un institut des études protectionnistes ou quelque chose
d'approchant pour pallier ce problème) et un libre-échange qui n'a que des doctrines et qui n'existe en réalité pas, notamment sur le plan monétaire.
Cette taxe est originale parce qu'elle prend au sérieux l'un des points des doctrines économiques les plus classiques, la loi d'un seul prix. Cette loi est l'idéal vers lequel devrait tendre le
système monétaire international, jamais atteint pourtant.
La taxe que je propose devrait aider à tendre vers un équilibre en matière monétaire, avec de gros avantages en termes de commerce international.
Comme la description faite en mars est un peu abstraite, je saisis l'occasion d'un échange avec JP, en commentaire sous mon billet précédent. Ses questions sont bonnes et justifiées, et elles m'ont
conduit à illustrer un peu ma proposition. (JP n'a pas répondu, il est soit lassé, soit dubitatif, irrité ou parti en vacances. JP reviens !) Je recopie donc ci-dessous l'échange récent.
*
JP : en quoi votre taxe est-elle différente d'une taxe indiscriminée frappant tous les produits d'un pays ? Où est la nouveauté ?
la nouveauté est qu'il ne s'agit pas de taxer les produits chinois parce qu'ils viennent de Chine. Il s'agit de taxer aujourd'hui de 20% les produits chinois parce que le yuan est au moins
sous-évalué de 20%. si demain la chine joue le jeu la taxe disparaît.
JP : quelle est alors l'utilité de construire le raisonnement à partir du taux de change? N'est-il pas suffisant de se baser sur le différentiel de prix (quelqu'en soit la cause)
l'intérêt vous avait échappé. maintenant que vous avez lu le point précédent vous avez compris que l'utilité du raisonnement à partir du taux de change c'est qu'on est capable de dire aujourd'hui
20% demain zéro en fonction de règles transparentes.
JP : ne voyez vous pas qu'il est incorrect de voir une cause dans le taux de change? D'abord celui-ci résulte de la balance des paiements, elle-même très dépendante de la balance commerciale.
Autrement dit, la relation est une relation d'influence réciproque entre les deux, et, je le répète, même si vous ne trouverez aucun économiste pour vous donner raison là dessus depuis deux
siècles, il faut admettre que, toutes choses égales par ailleurs, la relation d'interdépendance est telle que le taux de change tend naturellement à se stabiliser au niveau qui permet un équilibre
de la nalance des paiements (balance commerciale). Autrement dit, ce sont les lois de l'offre et de la demande des produits échangés qui fixeront in fine le taux de change.. Votre cause est donc en
réalité plutot un effet.
sauf que, notamment dans le cas de la chine, il y a manipulation des cours. et si, toutes choses égales par ailleurs, on revenait à l'équilibre, keynes n'aurait pas imaginé un système de bretton
woods dans lequel il incombait tout autant aux pays excédentaires qu'aux pays déficitaires (en balance commerciale) de remédier à leurs déséquilibres.
JP : votre conception du "prix unique" est complètement erronée. Le prix unique n'est pas un idéal, c'est un fait, à chaque fois qu'il y a un marché unique pour des biens identiques. Or un
BigMac à Pékin, ce n'est pas plus identique à un Big Mac à Paris que par exemple un baril de pétrole n'est identique à un baril dans 20 ans. Par contre, un Big Mac made in China, s'il était importé
à Paris, et s'il était indistinguable d'un made in france, serait au même prix. Ou bien le plus cher disparaitrait du marché. De plus, si au liueu de big mac, on considérait un repas fastfood de
cuisine asiatique (3 nems et un riz cantonnais, par exemple), vous le trouverez non pas 2 fois moins cher à pékin qu'à paris, mais 10 fois moins cher. Bref, cette histoire de prix unique n'est
qu'un égarement inutile du raisonnement.
pas du tout. il est évident qu'un big mac voyage assez mal. en revanche il est assez facile de faire voyager des ipods et de réaliser des marges considérables en vendant à des prix chinois, dans
des pays développés, à des prix juste inférieurs aux prix du pays développé. on ne peut d'ailleurs plus comparer avec un ipod fabriqué dans un pays développé, ça n'existe plus. sur une période plus
longue. imaginons deux appareils photos de qualité identique, un Agfa et un Canon. Agfa produit en Allemagne et vend dans les pays développés à 50 DM. Canon fabrique en Chine et ça lui revient à
30. Canon va-t-il vendre en Allemagne à 50 DM (pour faire plaisir à JP ?) Non, ils vendent à 40, ils ont une marge qui leur permet à terme d'enfoncer agfa avec un peu de R&D et le tour est
joué.
par ailleurs ma "conception du prix unique" s'appelle la loi d'un seul prix, c'est un postulat classique en économie, que vous trouverez testé économétriquement ici par exemple
(http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=2200364)
JP : Car ce que vous voulez considérer, en réalité, c'est la compétition déloyale, le fait qu'un made in china arrive sur les étals de Paris bien moins cher que son équivalent made in france.
Et au final, pour que votre taxe atteigne son but, il faudrait qu'elle surenchérisse le prix du madeinchina pour le mettre au même prix que le madeinfrance. C'est à dire qu'il ne s'agira de rien
d'autre que de la protection traditionelle par les traditionelles taxes douanières.
non. examinons la différence de prix entre le canon et le agfa. le agfa est vendu 50 en allemagne parce qu'il coute 45 à produire et qu'il faut nourrir les actionnaires rapaces. le canon coute
souvent en réalité 35 voire 40, mais une manipulation du cours du yuan permet de ramener le prix en allemagne à 40 en conservant une marge. si le cours du yuan n'est pas trafiqué, comment va être
justifiée la différence de prix : il ya d'une part une différence dans le fait que l'ouvrier chinois, à productivité équivalente, est moins bien payé en chine que dans les pays développés du fait
de la moindre protection sociale. c'est aussi une forme de concurrence déloyale, et on peut envisager une taxe pour compenser cela. mais elle est plus complexe à calculer. D'autre part il y a un
différentiel de qualité éventuel, mais celui-ci est normal, c'est une compétition loyale.
JP : en outre, vous faites complètement l'impasse sur l'inconvénient majeur de votre taxe non discriminante: à moins qu'elle ne soit élevée au point de bloquer toutes les importations, elle en
laissera passer certaines celles qui sont au départ les plus compétitives, c'est à dire celles pour lesquelles il y a la plus grande différence de prix entre nos deux pays. Or, il n'y a aucune
raison de penser que ces importations restantes sreraient les moins nuisibles pour les salariés et l'économie francaise.
C'est en partie exact. les salariés français qui font des produits compétitifs mais se font licencier à cause de produits chinois non compétitifs sans des manipulations de change seront tout de
même fort contents de ne pas être licenciés. les produits chinois qui resteront compétitifs malgré un rétablissement correct des parités seront certainement moins nombreux (un quart du volume
initial ?, la moitié ?). vous pouvez choisir de voir la bouteille à moitié vide.
et puis l'état pourra employer le produit de la taxe à de la R&d dans les secteurs français non compétitifs par rapport aux chinois (le secteur du nem que vous citiez précédemment, par
exemple)
JP : Il n'y a non plus de raisons de penser que celles des importations qui seraient stoppées seraient les plus nuisbles. Il est plus que probable qu'une taxation discriminant selon les
produits serait bien meilleure, car même si des intérêts particuliers ou corporatistes peuvent parvenir à s'y glisser, il n'y a pas de raison de penser qu'il en résulterait une effet pire que la
sélection aveugle opérée par une taxe indiscriminante. Et de plus les intérêts particuliers peuvent être contestés, et l'intérêt commun parvient à être parfois entendu.
je ne sais pas ce que vous appelez nuisible. toutes les importations sont "nuisibles" dans une perspective mercantiliste. on peut cependant imaginer que les avantages comparatifs jouent dans un
système de change régulé, et que nous ne souffrions pas autant de la concurrence des seuls produits chinois compétitifs que nous ne souffrons actuellement de la concurrence des produits chinois
compétitifs et non compétitifs sans manipulations de cours.
nous faisons déjà une taxation discriminante selon les produits, ça s'appelle la TIPP. manque de bol elle ne protège pas les producteurs de pétrole français.
on peut imaginer en effet qu'un état très intelligent et organisé sache déterminer quels sont les secteurs à protéger, à quel niveau, combien de temps etc... je vous l'accorde bien volontiers. mais
je ne vois toujours pas l'ombre d'un critère pour ce faire, et il y a fort à parier que les secteurs qui réclameront le plus une protection seront ceux qui s'aperçoivent qu'ils sont coulés par les
produits chinois en raison des manipulations de la devise chinoise... ce que je propose a l'avantage d'être relativement rapide à mettre en oeuvre, simple à mettre en place. ça n'est pas une
panacée, je vous l'accorde bien volontiers. mais c'est une bouteille à moitié pleine.