Magazine Culture
Paris au mois d’août : le macadam bouillant sur lequel ne marchent plus que des pigeons, les magasins qui ferment les uns après les autres, rendant chaque semaine plus hasardeuse la quête du sandwich de midi, les téléphones qui sonnent dans le vide…Heureusement il reste encore un peu de vie dans ce grand corps amorphe, car la culture ne dort jamais vraiment !
Jusqu’au 8 septembre, les comédiens de la compagnie Eulalie jouent au théâtre de l’œuvre le jour de l’italienne, une création collective qui nous montre comment une pièce – en l’occurrence L’épreuve de Marivaux - prend peu à peu forme, au fil des répétitions.
C’est ingénieux, drôle et enlevé. Chaque spectateur se voit remettre en entrant un petit lexique du jargon des théâtreux, plein d’humour et d’autodérision. Le sujet, original, évite intelligemment le double écueil de la caricature et du didactisme. Pas de leçon de théâtre ni de divas capricieuses. Le spectateur a en face de lui des acteurs qui jouent des acteurs répétant leur rôle, mais tout est fait pour que cette mise en abyme passe inaperçue, et créer l’illusion d’une véritable répétition. Les acteurs sont déjà là quand le public entre dans la salle, allant et venant sur scène, se saluant ou échangeant quelques mots comme au matin de la première répétition. Les noms des acteurs de la pièce sont ceux des comédiens qui les interprètent.
La gestion du temps est également intéressante : comment condenser plusieurs mois de répétition en 1h10 de spectacle, en créant de plus un fil narratif ? Le défi est relevé, avec des accélérations cinématographiques au son d’une bande qu’on rembobine, des intermèdes en forme d’apartés où les acteurs donnent leur vision du personnage qu’ils jouent dans la pièce de Marivaux et la question lancinante de l’éclairagiste : « C’est quoi pour toi le bruit du temps qui passe ? ». Les réponses qu’il obtient sont aussi variées que farfelues.
Entre deux vannes et un crêpage de chignon, on assiste à des passages de Marivaux magnifiquement joués comme ce vertige autour d’Angélique, dont tous les personnages attendent qu’elle parle pour accepter ou rejeter le prétendant qu’on lui propose.
Bref, un spectacle revigorant qui met à nu la cuisine interne de la pièce, le travail d’acteur et de metteur en scène, via un double mouvement d’observation de soi et de mise à distance. Pour ne rien gâcher le théâtre de l’œuvre, intimiste et confortable, est bien agréable.