Et pourtant, le film, malgré la hardiesse limite inconsciente du projet (je me demande si la dernière tentative approchante, en termes de démarche et pas de résultat, ce n’est pas ça), malgré toute sa singularité a quand même du mal à prendre dans mon esprit : par l’imbrication des flash-back et des surprises du présent, je sens bien la volonté d’embrayer sur plusieurs genres mais l’empilement d’histoires raccordées entre elles a du mal à coaguler. Pari du film tout de même constamment sur un fil : puisque demain n’aura pas lieu, enchaînons les actes sans dilemme moral, sans surmoi, sans conséquence… au risque de l’inconséquence et de la perte d’enjeux fictionnels. Tout cela a moins de charme que la pièce montée servie à la comédie du remariage d’Un homme un vrai (2003) et en arrière-goût, une tenace ambiguïté (pas très productive, à mon sens) de propos et de point de vue depuis Peindre ou faire l’amour (2005) : élan libertaire du « enfin libres ! » ou soupir (petit-)bourgeois du « on sera jamais tranquilles ! ».
Cela dit, le film ramène dans mon esprit le souvenir de films adorés avec lesquels il est difficile de lutter : Voyage à deux (Stanley Donen 1967) pour le voyage sentimental, la quête du couple pour une tanière ou Je t’aime je t’aime (Alain Resnais 1968) pour ce qu’il reste d’une obsession amoureuse : la fétichisation d’un souvenir anodin passé à deux.
Bon, pour ne pas rester sur du négatif, je me demande si, en fait, cette dérive hédoniste et géographique, les frères Larrieu ne l’avaient pas déjà filmée, à leurs débuts, en plus inventif et moins délayé. A la place des derniers jours du monde, c'était plus banalement, les premiers des vacances, mais la ville trouvée à l'état d'abandon, l'ambition littéraire (l'injonction de la voix off m’évoque incroyablement La modification - Michel Butor 1957) et le dévoiement de l’image documentaire étaient déjà là :
Fin d'été (Frères Larrieu 1999)
Et après ce beau départ en vacances, voici l’un des plus terribles (terrible au sens quotidien du mot) retour de congés (attention, cet extrait dévoile la fin du film) :
Du côté d'Orouët (Jacques Rozier 1973)
Je tiens vraiment ce moment pour l’une des plus belles « fins de cinéma » que je connaisse. Sa façon de figer un sentiment qu’on ne ressent qu’une fois par an, le sentiment « premier-septembre » : le retour à la routine et en même temps, une espèce d’ardeur à laquelle on se force à croire, un sentiment saisi dans l’encore douceur des terrasses (septembre est vraiment le plus atmosphérique des mois parisiens), dans les échanges de regard à distance et à la dérobée (ce qui ne se joue ne se passe pas à la table, mais de table à table), et ces derniers visages qui disent si bien le mélancolique dilemme de l’impossible (impossible, vraiment impossible ?) « larguez les amarres » qui tenaille chaque citadin.