Un sondage a été
publié cet été par le journal La Presse, selon lequel les Québécois seraient favorables à l'euthanasie. En effet, apprend-on, "77% des Québécois sont d'accord avec
l'euthanasie". Certes, on ne sait pas bien ce que veut dire vraiment un tel sondage, compte tenu du caractère bien général de cette affirmation sur un sujet pourtant bien délicat. Qu'il nous
soit permis quelques réflexions.
1°) Sur le sondage lui-même. On sait ce que valent les sondages et l'on sait que leur fiabilité est incertaine.
On sait aussi que la formulation des questions ou le choix du panel peuvent conduire à des faux-semblants ou à des interprétations trompeuses. Au-delà de cela, on peut se demander s'il est
légitime qu'une telle question soit traitée comme un sujet politique ordinaire, même si la démocratie moderne n'envisage pas que certains sujets puissent échapper à la volonté majoritaire, même
si c'est au prix d'une incohérence et d'un grand danger. Comment refuser la peine de mort, refuser de promouvoir le suicide, condamner le meurtre et banaliser l'euthanasie ?
2°) Sur les résultats du sondage. Le titre choc des 77% favorables à l'euthanasie a marqué les esprits. Mais,
en regardant les autres questions du sondage, plusieurs réponses s'avèrent intéressantes.
Ainsi, "72% des répondants pensent que les Canadiens devraient avoir le droit de refuser des
traitements médicaux qui pourraient leur sauver la vie, même si ce refus entraînera certainement leur mort". Le refus de l'acharnement thérapeutique n'a pas la même signification, ni la même
portée que l'euthanasie. Doit-on comprendre que les sondeurs ont opéré une confusion entre la seconde notion et la première ? Et, dans l'affirmative, peut-on la considérer comme involontaire
?
Si 85% des Québécois sont paraît-il d'accord pour permettre au médecin d'aider un malade à mettre fin à ses
jours quand ce dernier est en phase terminale et qu'il éprouve d'intenses douleurs ou qu'il est dans le coma et qu'il avait déjà précisé qu'il souhaitait mourir s'il se retrouvait dans une telle
situation, 58% seulement sont en faveur de l'euthanasie pour les gens atteints d'une maladie incurable qui les laissent tétraplégiques. En revanche, les trois quarts des répondants
s'opposent à l'euthanasie d'un malade qui désire mourir en même temps que son conjoint et 50% s'opposent à ce qu'un parent puisse demander la mort d'un enfant qui souffre d'une forme grave d'une
maladie comme la paralysie cérébrale.
Selon Margaret Somerville, directrice fondatrice du Centre de médecine, éthique et droit de McGill, « on peut déduire (du sondage) que les Québécois ont besoin d'une justification
morale pour permettre l'euthanasie et qu'une souffrance terrible peut en être une pour eux ». Peut-être. Mais cela veut-il dire que pour les sondés l'humanité exige que l'on abrège les
souffrances d'un adulte, mais pas d'un enfant (souffre-t-il moins ? n'a-t-il pas droit à la même "compassion" mortifère ?) ? Un tétraplégique incurable ne souffre-t-il pas autant qu'un malade
atteint d'une maladie ? Qui en est juge ?
On touche du doigt deux difficultés que les tenants de l'euthanasie occultent allègrement :
- où placer la limite une fois que l'on a autorisé à tuer pour la bonne cause ? Est-il possible de définir dans la loi qui doit mourir, alors même que chaque cas est différent et qu'une part de
subjectivité entre en ligne de compte dans la définition de ce qu'est une souffrance intolérable ?
- qui doit en décider... Les héritiers, dont on sait qu'ils peuvent avoir des intérêts différents de ceux du malade ? Un comité scientifique désincarné ? Faudra-t-il un référendum pour décider de
chaque cas ? Ce serait logique et démocratique...
Le problème est d'autant plus concret et important qu'en la matière une faute, une malveillance ou une erreur n'est pas réparable !
Une chroniqueuse militante explique les raisons, qui, selon elle, justifient la
légalisation de l'euthanasie dans les termes suivants : "Car la question ne cessera pas d'être posée et reposée par les baby-boomers qui vieillissent, voient leurs parents mourir et n'ont pas
envie de finir comme eux. Pas envie de voir leur corps devenir public dans des hôpitaux où on oublie ce qu'est l'intimité, la gêne, la pudeur. Pas envie d'avoir mal, très mal, en attendant que la
fin arrive toute seule." (M-C Lortie, ICI).
Mais s'il est évident que nous craignons tous de nous trouver un jour dans cette situation, je ne parviens pas à admettre que la seule solution qu'une société puisse proposer soit la mort :
l'éradication de celui qui souffre. On ne peut qu'avoir l'impression que cette solution, au nom d'une prétendue compassion, traduit l'intention de se débarrasser de ceux qui nous font penser à la
mort et qu'il nous est ainsi pénible de supporter. Mais la société ne devrait-elle pas au contraire faire preuve d'humanité ? Au lieu d'autoriser le meurtre sans pouvoir éviter les dérives, ni
savoir jusqu'où une telle autorisation pourra finir par être donnée, ne devrait-on pas privilégier le développement des soins palliatifs, la lutte contre la douleur, bref aimer celui qui souffre
et l'accompagner ? Mais ça coûte plus cher et c'est plus dur que de supprimer les mourants pour pouvoir continuer à feindre d'ignorer la mort...
François Larivière (Montréal)