Magazine Cinéma
Critique
INGLOURIOUS BASTERDS...
QUENTIN TARANTINO
C’est un ami qui m’avait confié ses premières impressions à propos du dernier Tarantino... Inglourious Basterds... « Un fourre-tout ». Un de ces bazars à dix francs, où une bande de gringos armés jusqu’aux dents préparent une attaque au napalm contre les tortues Ninjas... Seulement voilà, Cléopâtre ne l’entend pas de la même oreille que Van Gogh et décide de riposter avec son pistolet laser à dix coups. C’est à ce moment-là que Rommel débarque en soucoupe volante, aidé d’une bande d’apaches prêts à tout pour sauver la fée Carabosse...
J’ai donc couru dans le cinéma le plus proche. (Un grand. Un cinéma avec une largeur d’écran suffisante pour réussir à lire les sous-titres et sans rien perdre de l’action principale à l’image. Un cinéma moderne et parfaitement sonorisé pour ne rien perdre d’un tas d’effets acoustiques ingénieux.) Persuadé de retrouver mille raisons de rire et quelque émotion d’enfance. (Ce sentiment d’excitation lorsque j'exhortais les troupes de mon camarade Achille à livrer bataille contre mes armées de chevaliers cathares.) La séance était déjà commencée. Je veux dire que le noir dans la salle et les toutes premières crépitations de pop corn m’obligèrent à ramper jusqu’à ma place préférée du troisième rang dans la tentative de retenir les deux euros cinquante de mon Magnum double chocolat qui fondait dans ma main à vue d’œil.
Comment vous dire, que je crus d’abord m’être complètement planté de salle lorsque la musique d’Alamo a jailli sur le Dolby stéréo THX pour supporter l’improbable générique de western jaune à la sauce spaghetti. Alors arrive une bagnole militaire allemande dans le fond d’un décor rural français, comme la grosse bagnole américaine aux vitres teintées débarquait dans Le soldat Ryan, annonçant la scène de la crise de larmes d’une mère à qui la guerre venait de prendre tous ces fils. Au lieu des officiers ricains sur leur 31 la gueule dans leurs chaussettes au moment d’annoncer la nouvelle à la mère de famille déconfite, on découvre Christoph Waltz/ Hans Landa bien nippé dans sa veste en cuir noir piquée d’insignes de la waffen ss (pattes de col, aigle tissé sur le bras gauche et tout le toutim...) Le ss arrive comme ça, pendant qu’une paysanne au corps divin pompe au puit un sceau d’eau dans une posture franchement suggestive. En très gros plan comme dans la caméra de Leone... un type, le genre kosovar des hauts plateaux nourri au lait de vache et au fromage de chèvre à poils longs (le père à la mine patibulaire du canon de Navarone dont je vous parle...) lorgne l’approche de l’équipée sauvage motorisée, d’un œil en trou de serrure. Waltz (le type primé à Cannes en 2009 pour sa prestation d’un nazi multilingue impeccable) entre dans la masure en bois genre chalet d’armailli en saluant trois jeunes créatures plantées sur elles-mêmes dans leurs belles robes de la campagne, d’une politesse d’officier, élégante et maintenue. En fait, le nazi est un vrai salaud ! Le genre de saloperie d’ordure de nazi comme on en fait plus. Le nazi de chez la maison « chez nazi »... Le type vraiment moche, avec des vraies idées de merde dans la tête.
Au bout d’un moment, l’enflure internationale maniérée, s’enfile un verre de lait qu’il trouve bon, puis allume une pipe déjà bourrée pour accompagner le français qu’il interroge à propos d’une famille de juifs, les Dreyfus... (Le genre de pipe équipée d’un foyer en porcelaine géant qu’on ne voit plus qu’à l’hôtel Thalfried de Rulha). Les Dreyfus (parce qu’ils fallaient tout de même bien leur trouver un nom...) sont planqués sous le plancher en sapin pendant toute la scène, mais Waltz ne perd pas le nord et détourne le véritable motif de son intervention en racontant une histoire de rats. Où il n’est pas inutile de connaître ce Der ewige Jude (Le juif éternel) un film « documentaire » réalisé par Fritz Hippler et projeté publiquement la première fois le 28 novembre 1940 à l’UFA Palast-am-Zoo de Belin sous la supervision du chef de la propagande nazi Joseph Goebbels. Tout un programme ! Bref ! À a fin du premier chapitre, l’ignoble colonel Hans Landa fait butter tout ce qui grouille à la cave pour être raccord avec le sujet de sa thèse d’éthologie. Un véritable massacre.
Le luxueux macaroni nous promène ensuite dans les coulisses de l’histoire à la dérive de la seconde guerre mondiale en s’appuyant sur l’épisode épique d’un attentat « cinématographique » perpétré contre les plus hauts dignitaires du régime dont le führer en personne. Le crime sanglant est imaginé par une poignée de salopards... les « basterds »... Une bande de juifs légèrement violents, à la drôle de mentalité de vouloir en finir avec le lustre fasciste d’outre-Rhin et sa kyrielle d’abrutis congénitaux qui bandent pour leur chef à la moustache taillée au carré. La bande de vengeurs israélites déjantés est dirigée par John Wayne déguisé Brad Pitt, mais tout le monde l’a reconnu dans son costume d’hébreu qui lui sert un peu les miches. Passant les détails d’un « ours » vengeur à la batte de base-ball ensanglantée de tête de boches éclatés... Je me permets d’insister sur la superbe Diane Kruger faisant alors son apparition dans un rade paumé de la Louisiane française, blindé de teutons ivres morts et qui finit quand même par se prendre une balle dans le pied par un Maschinenpistole 40, plus couramment appelé MP 40 selon les propres codes de la Wehrmacht... L’auteur du génial Pulp fiction ou de Reservoir dogs nous dévoile-là son excès de fétichisme, son petit faible pour les chaussures de femmes, une Nike qui laisse une marque énorme sur l’écran dans Kill Bill... et maintenant ce talon aiguille oublié sur les lieux d’une tuerie qui perdra la belle Bridget von Hammersmark. J’avais entièrement fini ma glace, terminé de sucer le bâton jusqu’à la sève, alors que débutait un des meilleurs chapitres : la rencontre autour d’un struggle « à la crème » entre l’actrice Mélanie Laurent / Shosanna Dreyfus et ce colonel ss machiavélique dans un grand restaurant parisien. Mais que dire alors de ce morceau de David Bowie (La féline) pénétrant l’image d’une Marlène Dietrich ostensible sur fond rouge dans la scène d’ouverture de l’attentat ?
C’est-à-dire que Tarantino exulte à transformer des codes de série B en pure merveille du cinéma « moderne ». Un cinéma dégagé de toute forme engourdie par le bon sentiment des manières et des styles imposés, les façons engoncées de ne rien déranger en préférant dégueuler des poncifs et chier dans des tas de lieux communs. Bref ce sale gosse élevé aux nanars du vendredi soir prétend n’avoir aucune conscience politique et nous botte le cul avec sa façon grotesque en son royaume d’un Lubitsch dans To be or not to be... Grotesque, baroque, extravagant et au final, plutôt grandiose.
Inglourious Basterds joue à essayer de sauver l’humanité en organisant le carnage du siècle dans une salle de cinéma parisienne dont on sait qu’il préférât promouvoir l’œuvre considérable d’un Clouzot plutôt résistant, à ce film pompier de Georg Wilhelm Pabst, interprété par Leni Riefenstahl, baptisé L'Enfer blanc du Piz-Palü. Un art pompier... comme ce Stolz der nation projeté lors du grand incendie final.
NÉON™