Dans un billet du 16 mars dernier, j’expliquais que le PIB ne reflétait pas exactement la richesse réelle des Français. Il appelle d’autres remarques. Ainsi une moindre productivité du secteur public ou les modalités particulières de financement des régimes spéciaux augmentent le Produit Intérieur Brut. Il ne s’agit certes pas de « bricolage de chiffres ». Simplement, le PIB est une mesure réalisée selon des normes. Il donne une valeur, qui ne peut remplacer une analyse et cette dernière ne peut s’abstenir de prendre en compte les biais induits par les choix méthodologiques, quels qu’ils soient. Voyons donc en quoi les spécificités de la fonction publique augmentent le PIB.
De façon simple, le Produit Intérieur Brut (PIB) se calcule en sommant la somme des valeurs ajoutées brutes produites sur le territoire national pendant une année. La valeur ajoutée, c’est concrètement la vraie richesse créée. Le principe de calcul pour une entreprise est (relativement) simple. C’est son chiffre d’affaires diminué des achats (les consommations intermédiaires) qui ont servi à le produire. Ainsi, si pour vendre 1000, il a fallu consommer 60 d’énergie et de matières premières, il reste 40 de valeur ajoutée. Ces 40 vont servir à rémunérer les facteurs de production que sont le travail et le capital. Précisons enfin que la rémunération du travail se décompose en 3 : le salaire net, perçu par le salarié. En lui ajoutant les charges « salariales », on a le salaire brut. Et en ajoutant à ce dernier les charges « employeur », on obtient le salaire superbrut qui représente la réalité de ce qui est versé au salarié. Et comment fait on lorsqu’il n’y a pas de vente ? C’est le cas du secteur public qui, par définition, fournit des prestations « non marchandes ». Comment va-t-on évaluer la valeur ajoutée d’un instituteur, d’un gendarme, d’une infirmière ? La règle adoptée, c’est le coût de production, en additionnant notamment salaires versés et amortissements.
Quel effet le déséquilibre démographique a sur le PIB ? Rappelons qu’en 1975, il y avait plus de 3 cotisants pour un retraité et qu’aujourd’hui nous sommes à 1,5 cotisant pour un retraité ... Forcément, les cotisants doivent payer plus. Que cela prenne la forme d’une hausse des cotisations « salariées » ou « patronales », la valeur ajoutée reste identique, donc le PIB reste inchangé. Au pire, il y aura un peu d’inflation, sans changement en euros constants.
De plus, la part allouée à la rémunération du travail variera peu. En effet, le coût du travail est limité par la productivité du travail, dont le salaire superbrut ne peut durablement s’éloigner : imagine-t-on des entreprises employer durablement des salariés qui coûtent plus cher qu’ils ne produisent ? Aussi les augmentations de charges, qu’elles soient « patronales’ ou « salariées » finissent toujours par limiter le salaire net. Au final, c’est le pouvoir d’achat des salariés qui se trouve limité, de façon logique puisqu’ils doivent financer une proportion croissante de retraités. Autrement dit, le « gateau » produit reste le même, mais il faut le partager avec un nombre grandissant d’inactifs. C’est d’ailleurs ce que relève le rapport Cotis, en mai 2009, qui explique que si la rémunération du travail a évolué au même rythme que la croissance, le salaire net a augmenté moins vite en raison de la hausse des cotisations. Ajoutons également que les restrictions de temps de travail ont également amplifié ce phénomène.
Soulignons enfin qu’une réduction forte et durable des profits, altère la capacité des entreprises à s’autofinancer, à remboursement les emprunts et à lever des capitaux en fonds propres, diminuant ainsi leur aptitude et leur envie d’investir. C’est d’ailleurs ce que la France a vécu grosso modo de 1975 à 1985, causant ainsi un très fort chômage.
Et que se passe-t-il concernant la retraite des fonctionnaires ? Elles ont une spécificité : une très grosse part des cotisations est financé par l’employeur ... Ces dernières sont de l’ordre de 55% pour les fonctionnaires d’Etat et de 27 % pour les fonctionnaires territoriaux (Collectivités locales) et hospitaliers, à comparer aux 8,30 % à 9,90 % pour les employeurs du régime général. La raison tient tout simplement que les gouvernements successifs depuis des décennies ont trouvé plus facile d’accroître les cotisations employeurs que de réformer les régimes spéciaux. Autrement dit, c’est le contribuable qui a joué la variable d’ajustement, puisque ces hausses de cotisations « employeurs » se sont répercutées dans les impôts – ou dans la dette de l’Etat, donc dans les impôts à venir -. Zoomons sur la fonction publique territoriale : 28 000 fonctionnaires sont partis en retraite en 2007, 30 000 sans doute cette année, 40 000 en 2014 et 45 000 en 2019. Comment la Caisse Nationale des Retraites des Agents des Collectivités Locales (CNRACL) va gérer un tel flux, d’autant que la fonction publique hospitalière – qui est aussi de son ressort – va connaître une évolution similaire, bien que moins marquée (25 000 départs aujourd’hui, 35 000 dans 10 ans) ? En l’absence de réforme de fond – et de changement de comportement -, ce seront donc les charges « employeurs » qui vont encore s’accroître. Le PIB du secteur public étant égal à son coût de production, si celui ci s’accroît par augmentation des charges patronales, alors l’estimation qu’on a de la valeur ajoutée s’accroît et donc sa contribution au PIB français. En même temps que les impôts – ou que la dette publique - !
Il en va de même pour la multiplication des effectifs : si une entreprise accroît ses effectifs à production constante, alors la part de valeur ajoutée que reçoit chaque salarié se réduit. A l’inverse, si une administration accroît ses effectifs à périmètre constant, alors sa contribution au PIB s’améliore, même si c’est de façon très artificielle.
La raison tient dans le fait que les rémunérations du secteur public sont largement déconnectées de la productivité réelle du travail. Il n’y a pas de mécanisme régulateur (=correcteur) et les « surcoûts » sont pris en charge par le contribuable. C’est au demeurant en raison du manque de fiabilité du PIB non marchand que Jean-Philippe Cotis a préféré l’exclure du périmètre de son rapport de mai dernier.