Pour tout ces rockofans aux réveils à la bouche asséchée, désabublasés par des nuits sans rêve aux glorieuses sixties mais s'obstinant à écarquiller au terme jazz des yeux horrifiés comme devant 2girl 1cup alors que la solution se trouve devant : J'ai décidé d'échanger John Coltrane[1] contre mes légions de rockers. Coltrane en point culminant, contre les tarlouzes barbares.
Jazz, oui. Le sale mot. Poisseux et nauséabond comme un sol de maison de retraite. Du magma de sommeil vomit du jazz-rock à la fête de la musique, varié et énergique comme l'histoire du reggae. C'est bien cette ''fête'' qui forçait mon contact annuel au dégout de ce son. Ces dégarnis en liquéfaction ternaire découvert au coin d'une rue, je les fuyais pour le reste de l'année. Pourtant, ca fait des jours que Resolution me hante. J'ai ce besoin d'expier à l'écoute obsessionnelle les chorus qui serpentent ma mémoire. Pourtant, aux premières fois je n'avais trouvé dans la force ventrifuge de ses monologues qu'une paroi lisse. Il faut reconnaitre que j'ai mis du temps avant d'envisager le Dchass comme une musique autre qu'ennuyeuse.
Que Super Dieu calcine la méprisable institution qui m'inocula à la fois hantise de tout rassemblement festif et amour des uniformes noirs aux brassards rouges. D'années en années, ce soir de juin me donna à voir des choses terrifiantes. C'est par là que je m'aperçus que le Rock était lui aussi chauve, mou, pathétique. Dans le miroir on échange Village Vanguard contre CBGB et si le public se lève c'est pour attendre plus sagement d'applaudir. Tout rocker qu'il est, ce léthargique ne me donne pas moins envie de rouvrir Birkenau. Envolées mes illusions sur la noblesse d'une musique que je chérissais. C'est à ce moment là que....
Oui Monsieur ? Vous leviez le doigt ? Pardon ? Ah oui bien sûr j'aurai pu choisir Charlie Parker ou n'importe quel Dieu de l'Olympe Bop. Je vais vous expliquer. Si j'ai choisi Coltrane, c'est aussi pour son statut de référence indiscutable. Alors silence.
J-C, né de parents musiciens en 1926, échange à 13 ans sa clarinette contre un saxophone alto. Repéré d'abord par Gillespie en 1949, il rejoint ensuite Miles Davis en 1955 pour y prendre la place de Sonny ''Saxophone Colossus'' Rollins, l'autre grand souffleur hard-bop aspirant de gigantisme. En 1957, consumé par l'alcool et l'héroïne, il s'arrose d'une desintox qui le mène à l'orée d'une quête spirituelle entre philosophie orientale et soif de racines africaines. Il murit alors avec Monk ce style nuée ardente qui le fera siffler à Paris. Celui qui sort de l'ombre des grands ensembles pour arriver avec son premier quartet comme une déflagration à l'âge christique de la résurrection. C'est Giant Steps.
John Coltrane, cheville entre be-bop, hard-bop et new thing, est l'aiguille magnétique d'un même pas demi-siècle en moteur à explosion esthétique. Ténor. Soprano. Sur une trajectoire d'astéroïde, il creuse l'harmonie et déborde le temps dans des gerbes lapilli-monolithe jusqu'A Love Supreme. Puis meurt d'un cancer le 17 juillet 1967 en laissant un monde déboussolé de son prophète, orphelin comme après la mort de Bird. La parfaite conclusion messianique à une vie même pas résumée. Mais si vous croyez avoir frappé à la porte du cours d'hagiographie vous vous trompez. Ici, c'est savoir-(sur)vivre.
Parce que face à telle existence, on peut se poser des questions. La déchéance opiacée, le style, la renaissance spirituelle... Des péages biographiques bien connus des étoiles électriques. Se pourrait-il qu'on se soit trompé de mythes ?
A force de clic-clic-clic sur des groupes sans surprises, de parties de buzz dans de la pop préservative, on s'épuise. Une fois qu'on y a bien jouit, on fait quoi ? Exhumer toujours dans les sans-issues passéistes, chercher les itinéraires bis à l'embouchure de division ? Dans ce cas, le jazz est simplement plus sinueux que la country ou la soul.
Pourtant foncer sur le Trane après des années de Boyzone à ampli Marshall dans une brève illumination, c'est risquer de se faire écraser sur les rails. Ceux qui vous diront le contraire sont des crétins. C'est ainsi qu'on trouve des pauvres gosses la bouche pleine du Velvet, honteux d'une conviction née à la simple vue de la banane de Warhol dans Rock'n'Folk. Commencer par lui, c'est jurer de n'y rien comprendre.
Si on veut de l'initiatique on n'échappe pas aux passeurs. Il faut s'engouffrer par les portes hybrides jazzfunk/jazzhiphop/jazzelectro/jazzpolka, escalader le mur en s'agrippant aux prises électrogènes, rentrer en douce par les fenêtres binaires et tâtonner sur des disques ennuyeux avant de trouver l'interrupteur.
En amoureux des syncopes, on pourra persister à n'entendre dans le swing qu'un beat absurde. J'aurais beau rêver de krautrockjazz, d'une compréhension réelle entre deux visions débarrassées de l'écueil progressif (Countdown = 2 :25. Punk ?) et des facilités gros son, vous faire remarquer comme le jazz se transforme au présent pour ne plus convenir qu'à l'étiquette musique... Ou je pourrais vous suggérer qu'un saxophoniste, c'est le même genre d'ego qu'un guitariste : Coltrane vs Hendrix sur débit fleuve....
Seulement, rien à faire. Entrer en Jazz c'est changer de fréquence.
Opposer au Rock une autre conception du groupe : Centripète contre centrifuge; Band like a gang contre tous pour un soliste. Se forger à écouter, accroché à 100 à l'heure sans glissade à pic sur les percées modales. Parvenir à appréhender un début de solo piano comme un pont à 2 :30 et ressentir le drive d'une walking bass en décharge de fuzz. Arriver un beau jour à grimper au minéral acoustique. L'entendre vraiment, ce lyrisme. Entendre ce souffle qui s'est chargé de malheurs et d'extases comme les cordes vocales d'un bluesman.
Comparses fétichistes, le Jazz est une dernière quête mystique. John Coltrane pour sommet de la montagne, avant les possibles.
[1] 'Trane'' dans le jargon