Il y a une bonne dizaine d’année, j’habitais marseille et naviguais sur «Salute», mon premier vaisseau amiral, un petit Flirt de 6m où l’on ne pouvait se tenir dans l’habitacle qu’accroupi et y dormir qu’en s’entendant très bien ou en s’aimant très fort. Par un froid week-end de décembre, sous un ciel bleu électrique, mon pote Bernard et moi étions parti pour une petite virée WE à Sormiou. Il n’y avait personne sur l’eau ni au mouillage. Les marseillais étaient sur les pistes de ski. La nuit tombant tôt,et le froid devenant plus vif, nous nous étions réfugiés à l’intérieur du bateau, réchauffés par un cassoulet en boîte et quelques rasades de Jack Daniels devant une partie d’echec que Bernard gagna comme à son habitude. Au matin, notre difficile sortie des sacs de couchage était récompensée par une belle surprise: quelques flocons de neige, la calanque déserte et le pont du bateau recouverts d’une fine pellicule blanche. Dépaysement et isolement ultimes à seulement quelques milles de chez nous.
Pourquoi ces souvenirs de vieux combattant? Parce que c’est à peu près le sentiment que BY et moi partageons au cours de ces deniers jours à Majorque, pourtant si proche de France et réputée pour ses barres d’hôtels et ses gros allemands en slip. Profitant d’une météo correcte, nous l’avons abordée par sa côte rocheuse NW plutôt que, plus classiquement, par le SE. Le changement d’échelle est radical. Nous longeons avec respect la chaine montagneuse qui culmine à 1400 m et sa façade maritime faite de falaises abruptes de 300m qui plongent dans la mer. Aucun mouillage entre Cap Formentor et Soller n’est vraiment sûr et nous gardons l’œil sur le ciel et la météo avant de nous arrêter pour la nuit dans de spectaculaires et gigantesques cirques rocheux. Nous sommes seuls le plus souvent, accompagnés au pire par 2 ou 3 autres voiliers. Un ciel grisé par une dépression heureusement pas trop creuse achève le tableau. Une nuit, orage passager éclate au nord et nous gratifie de rafales à 35 nœuds. Heureusement, nous sommes bien accrochés car de toutes façons, inutile de penser à dégager dans ces conditions. Les rêves de Spitzberg ou de Patagonie ne sont pas loin.
Au cours de nos explorations sur les sentiers qui s’enfoncent dans les terres, nous réalisons à quel point les marches en pleine nature calment les enfants. Thao marche bien, jusqu’à deux heures par jour, sans broncher moyennant quelques motivations –Dora et Diego à l’arrivée, la saucisse qui pique à l’apéritif – ou dangers potentiels diffus à manier avec modération – Le loup qui pourrait se réveiller à la tombée de la nuit – Ewen, dans le porte- bébé - si on peut encore parler de bébé vu le poids de la bête – se tient tranquille tant que j’adopte la marche du dromadaire, un de ses scenario préféré. Ces belles ballades sont étrangement silencieuses, pas âme qui vive ni bruit quelconque. Les oiseaux et les grillons se taisent, les animaux se déplacent furtivement.
L’autre configuration qui fonctionne à merveille avec eux est le train. Arrivés au port de Soller avant-hier, on se rend au village distant d’une dizaine de kilomètre par un tramway centenaire ouvert à tout vent et, de là, à Palma en une heure par un petit train de même époque. A flanc de montagne ou via d’étroits tunnels, il chemine dans la pinède et les oliviers cultivés en restanques. L’intérieur de Majorque que nous découvrons à cette occasion est aussi sauvage que sa côte. Les enfants sont comme hypnotisés, la tête penchée aux fenêtres, et en redemandent dès que nous arrivons au Terminus. Seule la perspective de le reprendre en fin de journée parvient à calmer la déception d’Ewen qui se roule par terre.
Déambulations dans le vieux Palma et visite de son étonnante cathédrale, mélange de Gothique et du délire génial de Gaudi.
Aujourd’hui, c’est relâche, d’autant que la Tramontane se prolonge jusqu’ici et lève une mer mauvaise en dehors de l’anse.